Notre sélection jeunesse du mois de février

Trépidante traversée
Les petits minuscules rêvent de partir en voyage, mais pour ce faire, ils doivent d’abord se rendre chez les Tougrand pour chercher le nécessaire à la construction de leur embarcation. Une idée aussi farfelue que dangereuse qui ne fait toutefois pas l’unanimité. Capucine et Romarin laissent ainsi au lecteur le choix de décider de la suite des choses. Présenté sous forme de « livre dont vous êtes le héros », Le grand voyage des petits minuscules est une histoire à hauteur de bibittes, là où les racines de l’herbe deviennent lierres, les coquilles de noix, des radeaux, les chiens, d’énormes bêtes poilues. Au-delà de l’aspect ludique de l’album, la force de l’ouvrage tient aux illustrations d’Amandine Piu. Chaque tableau regorge de mouvements grâce à une variation de plans et un souci du détail. En tête, cette petite boucle qui orne un vêtement oublié sur la corde à linge, la chevelure rouge de Capucine qui lui donne des airs de fraise ou, encore, une horde de fourmis chargées de leur prise du moment. Autant de scènes qui rythment cette traversée de façon naturelle et invitante.
Marie Fradette
Le grand voyage des petits minuscules
★★★1/2
Sylvie Misslin et Amandine Piu, Amaretta, Lyon, 2025, 44 pages. À partir de 5 ans.

Prêter l’oreille
« Il faisait, cette année-là, un froid extraordinaire. Notre tribu s’était installée dans la plaine pour l’hiver. Nous avions planté nos tentes entre la forêt, au sud, et le glacier, au nord […] Je me sentais toute petite. J’avais neuf ans […] ». Soixante-dix-neuf hivers plus tard, Asakamuk jette un œil derrière et raconte comment, en symbiose avec la nature, elle a réussi à sauver sa famille de la famine. Dans Le cadeau sauvage, Jean-François Chabas offre une plongée au cœur de l’immensité polaire, exprime sans moralité l’importance d’être à l’écoute des alentours tout en évoquant les croyances animistes avec sensibilité et respect. La beauté de ce texte se prolonge dans les tableaux de Christel Espié dont le style cinématographique, alliant réalisme et poésie, laisse place à de véritables œuvres d’art. L’artiste visuelle manie l’art du portrait tout comme celui du paysage en jouant de perspectives et de lumières. Les effets contrastés entre la froideur des nuits d’hiver et la chaleur d’un feu sont, ici, particulièrement saisissants. Fameux.
Marie Fradette
Le cadeau sauvage
★★★★
Jean-François Chabas et Christel Espié, Albin Michel Jeunesse, Paris, 2024, 40 pages. À partir de 6 ans.

L’éveil du cor
Le premier roman de Jean-François Aubé, La mort d’un commis de dépanneur (Lévesque, 2020), constituait une belle promesse littéraire. Ces espoirs ne seront pas déçus puisque le premier roman pour public adolescent de l’écrivain, Tout ce qui déborde, n’est rien de moins que sensationnel. On côtoie pour l’occasion Nicolas, nouveau corniste de l’orchestre harmonique de son école secondaire, qui fait son chemin dans les broussailles de la puberté et, incidemment, son éveil sexuel. Jeune homme de peu de mots, Nicolas jongle avec sa pensée et s’exprime à travers la musique : « Parler, c’est compliqué, il faut savoir placer sa voix dans un silence, ni trop tôt ni trop tard. Il préfère des notes sur une partition. » Par le truchement d’une pléthore de personnages colorés, porteurs d’une langue vivante, le roman dissèque le tissu social de groupes de jeunes avec une acuité adoubée d’une extrême sensibilité. Aubé y déploie un style poétique, une ironie fortifiante et une capacité à rendre le tragique sans trop l’appuyer, employant à merveille son érudition musicale. Ovation debout.
Yannick Marcoux
Tout ce qui déborde
★★★★1/2
Jean-François Aubé, Boréal « inter », Montréal, 2025, 152 pages. À partir de 14 ans.
Voyager à l’aveugle
Le quotidien de Monsieur et Madame Kuroki, « sur une parcelle de terre sur une île du Japon », n’est pas sans bonheur. Leur amour est d’ailleurs garant de jours heureux, mais le dur labeur que commande l’entretien de leur ferme reporte sans arrêt leur grand rêve : « voyager dans des pays lointains » pour découvrir des langues et traditions différentes. Or, avant que tout ça se concrétise, Mme Kuroki perd la vue et, avec elle, sa joie de vivre. Pour retrouver le rire de son aimée, M. Kuroki entreprend de planter, à perte de vue sur la terre, la fleur préférée de son épouse, la shibazakura. Inspirée de faits vécus, cette histoire tressée de résilience et d’amour converge vers une fin aussi inattendue qu’émouvante. La force du récit est appuyée par le trait sobre d’Ohara Hale, qui aurait parfois gagné à prendre ses distances à l’égard du texte. Il reste que la poésie et l’espoir respirent ici le parfum généreux des fleurs, ce qui ne manque pas de fertiliser nos imaginaires. Voilà de quoi iriser vos cœurs.
Yannick Marcoux
Le jardin de Monsieur Kuroki
★★★1/2
Texte d’Anne Renaud illustré par Ohara Hale, Monsieur Ed, Montréal, 2025, 48 pages. À partir de 5 ans.
