Medjy et la nouvelle vague de la pop haïtienne

La musique populaire haïtienne entrerait-elle dans son âge d’or ? Près de 50 ans après la percée internationale du mythique orchestre Tabou Combo, les artistes d’Haïti attirent les foules aux États-Unis et remplissent des arénas en Europe, surtout en France. En fusionnant les rythmes populaires d’Haïti à la pop, au R&B, aux musiques électroniques et au hip-hop, une nouvelle génération de créateurs prend racine sur TikTok et récolte des millions d’écoutes sur YouTube ou Spotify, comme le fait Medjy, le premier artiste « néo-konpa » à monter sur la scène de la Place Bell ce samedi.
« Moi, j’ai commencé au piano », raconte Medjy, joint à Miami en pleine répétition avec sa douzaine de musiciens pour sa prochaine tournée débutant samedi à Laval. « J’avais une tante qui habitait tout près de mon école ; quand j’avais 12 ans, les vendredis après-midi, je m’y rendais en attendant que mes parents passent me chercher après leur travail. J’ai trouvé chez elle son clavier Casio, c’est ainsi que ma passion est née. La musique, c’est tout ce que je voulais faire. »
Né au Canada, Medjy Toussaint a grandi en Haïti, passant les vacances d’été près de Montréal, où il est revenu faire ses études supérieures. S’il a mis le pied dans l’industrie musicale haïtienne encore ado avec son groupe TNT (et lancé un premier album solo peu après), c’est depuis Montréal qu’il trouve le succès en formant le groupe kompa-zouk Enposib, lequel enfile les succès compris sur l’album Sa Pa Lov (la chanson titre, parue il y a quatre ans, a été visionnée plus de 34 millions de fois sur YouTube).
Au sommet de sa popularité, le groupe se dissout. Medjy part à la recherche de sa propre identité musicale et présente l’album 48 Rebecca, paru il y a deux ans.
« Ma musique porte ses racines haïtiennes, il y a donc beaucoup d’influence konpa, rasin [racine], rara, les rythmes des bandapye [bandes à pied] que j’entendais passer dans la rue quand j’étais petit — je courrais à la fenêtre pour les écouter ! Mais je suis aussi influencé par la musique moderne : reggae, R&B, hip-hop, pop », auxquels on ajoutera du soul et du gospel. « J’aime tout genre de musique ; dès que je reconnais son énergie, ses mélodies, je la sens. Je dis toujours que mon talent n’est pas de savoir faire la musique, mais ma capacité à pouvoir l’apprécier », dit le chanteur, compositeur et réalisateur.
Sang neuf
Avec Enposib d’abord, puis en solo, Medjy compte parmi les nouvelles vedettes de la pop haïtienne qui ont vu émerger le dancehall, le reggaeton et, plus récemment, les musiques pop dansantes d’Afrique que l’on regroupe sous le terme afrobeats. Trois genres qui ont successivement traversé les frontières de leurs pays d’origine pour trouver leur public partout sur la planète.
La nouvelle chanson créole, tributaire de ses origines konpa et zouk, alignée sur la pop électronique métissée d’aujourd’hui, pourrait-elle devenir la prochaine tendance ?
C’est déjà le cas en France, à en juger par le nombre de concerts offerts par des artistes d’Haïti au Zénith de Paris (6800 places). Mais au Québec, où l’on trouve une des plus importantes communautés de la diaspora haïtienne, les nouvelles voix d’un konpa moderne amorcent seulement leur percée auprès du grand public.
La « diva du konpa » Rutshelle Guillaume a fait un tabac l’été dernier au Festival international Nuits d’Afrique. Dans un autre registre, le compositeur et DJ Michaël Brun, venu présenter ses soirées Bayo au MTelus en 2023, construit des ponts entre rythmes haïtiens et musiques électroniques de club. Medjy s’apprête à investir la Place Bell pour présenter ses plus récentes chansons.
Le konpa nouveau
Peu avant Noël, Evenko annonçait la mise en vente d’un concert de l’immensément populaire Joé Dwet Filè au Centre Bell le 12 décembre 2025, lui dont le succès 4 Kampé joue entre deux mises au jeu lors des matchs du Canadien de Montréal — du jamais vu ni entendu pour de la musique populaire d’Haïti !
« Joé présente beaucoup de belles productions musicales », dit Medjy à propos du jeune artiste très sollicité en Europe. « Il fait un beau travail dans sa façon de vendre la musique haïtienne — et plus tu l’exposes au public, plus tu gagnes des cœurs ! »
Tous ces artistes ont en commun une interprétation différente du style konpa, une forme contemporaine de méringue née à la fin des années 1950, et qui a subi plusieurs mutations d’une génération à l’autre. Celle de Medjy a été biberonnée au rap et au R&B, s’abreuve aussi d’afrobeats, et ça s’entend : leurs chansons sont plus courtes, formatées pour les radios, munies de refrains accrocheurs et d’une production qui se compare à leurs inspirations.
« Quelque chose a changé dans la manière de faire cette musique », analyse Medjy. « On a apporté une touche moderne » au konpa et au zouk, que le musicien attribue au parcours même de cette nouvelle génération de musiciens. « Je viens de Pétionville, mais j’ai été amené à donner des concerts à Paris, dans les Caraïbes, au Canada. Je suis de cette génération née hors d’Haïti, comme [la jeune vedette] Oswald, né à Saint-Martin, ou Joé, né en France. On incorpore dans notre musique des influences musicales étrangères, et ça donne ce résultat. »
Medjy se réjouit de voir l’industrie musicale haïtienne prendre sa place sur la planète pop. « Tout le monde met la main à la pâte, c’est aussi pour ça que notre musique sort plus facilement d’Haïti. »
Medjy sera en concert le 22 février à la Place Bell.