Lettre à un Québec qui m’a laissée tomber

«Ce n’est pas en cloisonnant les gens qu’on devient plus fort», fait valoir l’autrice.
Photo: Getty Images «Ce n’est pas en cloisonnant les gens qu’on devient plus fort», fait valoir l’autrice.

Mon cher Québec, je t’écris ces mots, non pas avec une plume, mais avec un marteau-piqueur dans le cœur. Je te l’avoue, tu m’as laissée sur le bord du chemin, comme le cône orange que tu as tendance à laisser traîner un peu partout. Et pendant que tu te félicites de ta poutine bien garnie et de ton sirop d’érable qui coule comme un ruisseau d’histoires, je me demande si tu n’as pas oublié d’où tu viens. Je t’ai aimé, mon vieux Québec, je t’ai aimé comme une enfant aime son Krazy Karpet au début de l’hiver, sauf que toi, tu as décidé de « casser » avec moi, pis pas juste une fois.

Tu me dis que je ne suis plus la bienvenue dans tes bras, que mes racines d’ici et d’ailleurs ne font plus le poids face à tes 400 ans d’histoire. Tu as mis un gros cadenas sur ma carte de membre, comme on ne pouvait plus mourir ensemble. Faut vraiment que tu m’expliques, mon vieux, comment tu passes d’un « nous » qui a tout le temps cherché à s’agrandir, à accueillir, à se serrer les coudes, à un « nous » où tu as décidé de barrer la porte et de tourner la clé.

Mais sache une chose, Québec, je ne suis pas près de te quitter. Je suis trop québécoise pour ça. Tu as peut-être révoqué ma carte, mais tu ne peux pas me faire oublier ton accent sur mes lèvres. Mon identité n’est pas une étiquette à découper, à coller où ça te convient, non. Faut te souvenir qu’on a partagé des moments plus doux que ta « loi 21 », plus solides que tes ambiguïtés sur la diversité. Des moments qui m’ont fait plus rire que le dernier Bye Bye. Tu crois qu’en me retirant mon droit de vivre librement, tu m’effaces ? Ben non, tu n’es pas plus capable de me faire disparaître que de faire fondre la neige en plein janvier.

Je t’ai vu bâtir, Québec. J’ai vu tes bâtisseurs et tes rêveurs, comme Parizeau et Lévesque. Tu n’as pas eu peur de t’élargir, de t’élever, de t’épanouir avec des rêves d’indépendance. Puis, un jour, tu as commencé à craindre l’autre. C’est là que j’ai vu que tu étais perdu. Comme si la peur d’un voile, d’une femme différente, pouvait t’effacer. Mais tu oublies une chose, mon cher Québec, ce n’est pas moi qui te fais peur, c’est ta propre peur qui te déforme. Tu n’as pas le droit de me faire passer pour une menace sous prétexte que j’embrasse ma foi et que j’ai décidé de porter ce que d’autres choisissent de laisser.

Tu as réécrit ta propre histoire, Québec, comme si ta résistance à tout ce qui t’était extérieur te rendait plus pur. Mais je te le dis en toute simplicité, ce n’est pas en cloisonnant les gens qu’on devient plus fort. Non, tu te fragilises à force de repousser ceux qui te ressemblent tout en portant le même nom, ceux qui vivent sous le même ciel. Et là, tu me fais un peu penser à Gilles Vigneault : le Québec, ce n’est pas un pays, c’est un état d’esprit. Mais de quel état d’esprit parle-t-on quand on exclut ceux qui, comme moi, veulent y croire ? C’est quoi, ce « nous » qui s’étiole et se transforme en « eux » ?

Je ne suis pas prête à m’en aller, Québec. Je ne vais pas me faire engloutir par l’océan de ton renoncement. Je vais te rappeler, encore et encore, que mon identité est un ajout, pas une dégradation. Ma foi, ma culture, tout ça n’est pas une menace pour toi. Au contraire, ça t’enrichit. Mais surtout, ça m’enrichit. Un jour, on se jasera de ça devant un thé à la menthe. Tu verras comme il est bon quand je le sucre avec du sirop d’érable. On se jasera de ton histoire, celle d’un peuple qui a toujours su se réinventer, se renouveler, avec sa chemise carreautée. Mais ça, tu as l’air de l’avoir oublié.

Alors, mon vieux Québec, un jour, tu te souviendras. Tu te souviendras que ta grandeur, ce n’est pas dans tes murs ni dans tes lois qu’elle se trouve, mais dans la diversité que tu n’as jamais cessé d’accueillir. Et un jour, tu ouvriras ta porte à ceux qui n’ont pas cessé de t’aimer, même quand tu nous as mis dehors. Je ne sais pas si tu le savais, mais il fait frette dehors. Laisse-moi pas geler trop longtemps. Je serai là, toujours prête à te jaser de ça.

Parce que je suis Québécoise, même quand tu me dis le contraire. Et tu m’entendras toujours, Québec, alors attache ta tuque.

Je ne veux pas être ton ennemie. Je ne suis pas une fissure dans ton tronc, mais un arbre qui veut pousser dans ta forêt.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo