Le droit de hurler

Crier. Hurler, encore. Scander, encore et encore. Crier jusqu’à ce que l’on s’essouffle, jusqu’à ce que nos cordes vocales se raidissent sous l’effort, jusqu’à ce que notre tête explose sous la pression des cris qui se répercutent dans un crâne empli de flammes brûlantes.
Hurler, toujours, contre ce qui nous remplit de rage. Crier contre les agresseurs, les meurtriers, les criminels du passé, du présent et du futur qui s’en sont sortis, qui s’en sortent et qui s’en sortiront avec une unique égratignure à une réputation présumée noble d’office.
Scander contre les injustices, les injustes, les bourreaux.
Crier pour la planète qui souffre, crier pour les pauvres charognes déchiquetées par les vautours de la finance, crier pour les enfants oubliés — les héritiers de pensionnats jonchés de tombes, les innocentes âmes de Gaza, victimes d’un système cruel dissimulé derrière de bonnes intentions en réalité souvent factices.
L’assimilation. L’autodéfense. L’autodétermination d’un peuple, mais pas n’importe lequel.
Nous voulons hurler. Hélas, une main gantée vient se glisser sur notre bouche et une voix nous murmure à l’oreille que ce n’est pas correct de crier, de hurler, de scander ainsi.
Évidemment.
On nous traite d’enragés, de radicaux, de militants violents, voire de vampires communistes-socialistes désireux de sucer le sang des honnêtes dirigeants.
Tous honnêtes, vraiment ? Pas les dirigeants tortionnaires d’un monde qui piétine les mains quémandant désespérément de l’aide au nom de la loi du plus fort.
Nous ne savons plus quoi faire face à ces gens, à ces gouvernements et à ces institutions qui essaient de nous faire taire. Certains d’entre nous disent que c’est peine perdue, que l’on n’arrivera jamais à leur faire voir la vérité implacable qui danse devant leurs yeux… D’autres proposent de lutter, encore et encore, jusqu’à ce que ceux qui tiennent les cordons de la bourse daignent nous donner une ou deux piécettes, ou encore que ceux qui sont assis sur le trône lancent un simple regard dans notre direction.
Mais ils refusent de nous écouter. Nous avons essayé les journaux, les pétitions, les grèves, les manifestations. Rien ne fonctionne. Ils se fichent de nous, de nos combats, de nos revendications.
Pourquoi redonner une miette de son pouvoir si l’on peut rester en haut de la chaîne alimentaire, quoi qu’on fasse ?
Dans le fond, je les comprends. Ces gens pensent à leurs parents, à leurs enfants, à leur femme ou à leur mari, à leurs amis. Ils veulent les protéger, eux, et protéger du même coup leurs droits et leurs privilèges.
Mais nos enfants, nos parents, nos amis, la Terre sur laquelle on marche, qui va les protéger ?
Face à l’horreur banale de ce monde, nous devons hurler, encore et encore, pour toujours et à jamais, jusqu’à ce que nos cris fassent trembler les murs des parlements, jusqu’à ce qu’ils fracassent les plafonds et les murs de verre, jusqu’à ce qu’ils ébranlent les colonnes sur lesquelles repose cet univers.
Lorsque nous sommes face à une situation aussi terrifiante que celle dans laquelle notre monde se retrouve, nous avons bel et bien le droit, voire le devoir, de crier, de hurler, de scander. De dénoncer à haute voix l’innommable, l’irrecevable.
Crier, encore et encore.
Pour toujours et à jamais, peu importe ce qu’ils disent, peu importe ce qu’ils font.
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