Amazon et le syndicat, d’égal à égal?

Personne n’est dupe, la fermeture des entrepôts d’Amazon au Québec n’est certainement pas étrangère à la syndicalisation des employés du groupe avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Une action aussi subite qu’inattendue nous oblige à examiner la relation patronale-syndicale sous l’angle moins populaire de l’entreprise et de ses motivations. Pour Amazon, l’arrivée d’un syndicat est une première mondiale et commande un changement radical de ses habitudes. Le géant doit maintenant jongler avec des représentants syndicaux et gérer sa grande crainte de voir ce syndicat se démultiplier telle une bactérie en milieu favorable, un phénomène qui s’appelle la scissiparité.
À croire que même les bactéries ont la fibre syndicale !
Mais pour Amazon, devoir fignoler les détails des conditions de travail de ses employés avec un syndicat, par le biais d’une convention collective, provoque évidemment un choc des cultures que sa nécessaire acclimatation aux actuelles lois québécoises ne peut qu’accentuer.
On sait que les négociations d’hier ne se déroulaient pas très bien. Et bien que je sois convaincue que l’employeur ait sa part de blâme à porter dans l’échec actuel, mon intervention ici est surtout d’aller gratter sur un terrain qu’on examine trop peu souvent, à savoir le point de vue de l’employeur. Se peut-il que les agissements de la CSN aient pu être trop rigides ? N’a-t-il pas laissé souvent sous-entendre qu’il exigeait ceci ou cela ? Félix Trudeau, le président du syndicat de l’entrepôt d’Amazon DXT4, à Laval, m’a d’ailleurs fait un peu sursauter lorsqu’il a exprimé l’idée voulant qu’« un syndicat négocie d’égal à égal ».
Or, c’est faux : un syndicat n’est pas en position d’égalité, il est le représentant légal pour négocier les conditions de travail des employés. Pas plus, pas moins ! Et la meilleure preuve pour accréditer ma thèse, c’est l’actuelle fermeture des entrepôts d’Amazon : « pas d’employeur, pas de syndicat » ! Faites-le-moi savoir si l’un d’entre vous a déjà entendu : « pas de syndicat, pas d’employeur ! » La seule place où il y a égalité dans ce type de négociations, c’est dans l’espace où chaque groupe doit négocier en toute bonne foi, tout en se portant un respect réciproque.
À la fin de 2024, Michel Valiquette, le trésorier de la Fédération du commerce (FC-CSN), avait salué « le courage et la détermination des travailleurs d’Amazon ». « Ils sont en train de marquer l’histoire ! » avait-il même avancé. En effet, il semble que la côte a été abrupte à monter avant d’atteindre la syndicalisation. Il faut néanmoins garder à l’esprit que « faire sa marque » ne peut se faire que si, et seulement si, les entrepôts d’Amazon continuent d’exister !
Et dans un contexte où les employés ont le droit et doivent conserver ce droit essentiel de se faire représenter par un syndicat pour un mieux-être humain, solidaire et sociétal, ne devrions-nous pas aussi considérer que l’employeur n’en est qu’à ses balbutiements de négociation ? Dans cette perspective, n’aurait-il pas fallu que le syndicat fasse preuve de modération dans ses demandes et qu’il démontre à l’employeur qu’il est possible de travailler l’un avec l’autre, et non pas l’un contre l’autre, tous deux s’imposant ainsi de faire preuve de plus de souplesse et d’honnêteté dans les échanges, au risque sinon de voir l’entreprise lever les feutres ?
Pour l’heure, il est facile de deviner qu’Amazon craint plus que tout que « pierre qui roule amasse mousse » et de voir un jour les grèves s’enfiler les unes aux autres, comme on l’a trop vu au cours des dernières années. Il est devenu nécessaire d’instaurer de nouvelles normes pour négocier en paix sans avoir à toujours sortir le « must » des grèves qui sèment le chaos (à ne pas confondre ici avec le « Musk », au fort potentiel chaotique lui aussi) !
En attendant, considérant qu’Amazon est encore inexpérimenté dans le domaine des négociations syndicales et qu’il est nécessaire que l’une et l’autre des parties prennent le temps de s’apprivoiser, n’est-il pas pertinent de donner le temps à Amazon de s’adapter pour mieux réagir aux règles québécoises issues de la Révolution tranquille ? Je suggère au syndicat de suivre le précepte d’Éduc’alcool, à savoir que la modération a bien meilleur goût !
Y aller une petite mousse à la fois pour assouvir la faim syndicale des moussaillons ne vaut-il pas mieux que de tous les retrouver sur le pavé, sans emploi ? À moins bien sûr qu’on préfère se passer d’Amazon, une alternative qui doit faire, le cas échéant, l’objet d’une analyse approfondie.
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