Des gestes pour venir en aide à nos platitudes critiques

La couverture du numéro 288 de la revue «Spirale»
Photomontage: Le Devoir La couverture du numéro 288 de la revue «Spirale»

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un extrait d’un texte paru dans la revue Spirale, n° 288 (hiver 2025).

Parmi les différentes façons de faire de la critique, il y a celle qui se contente de décrire, celle qui identifie les absences, celle qui analyse l’œuvre en long et en large pour porter attention à certaines de ses virtualités. Il y en a d’autres qui croient à l’objectivité, à la réserve, à la distance bourgeoise que rien ne semble affecter, sinon l’affect lui-même, et il y a aussi celle, expressive, brûlante, choquée, qui s’appuie sur le pamphlet dans l’espoir de faire bouger les choses.

Tantôt la critique suscite l’indifférence, tantôt elle fait la promotion de produits culturels. Elle peut être l’expression d’une gestalt, la manifestation du pouvoir par le discours, ou encore elle peut se poser en différence contre les idées reçues et les gens bien-pensants.

En tant qu’écrivains, lecteurs, contributeurs, directeurs de dossiers, membres de comités de rédaction, étudiants, enseignants, nous avons souvent nous-mêmes dans nos textes critiques relégué au second rang, voire fait taire, des impressions pourtant vivement senties et des styles d’écriture qui se distinguaient d’un certain modèle, craignant qu’ils ne soient pas pris au sérieux. Nous aussi, nous avons normalisé ou refusé des textes qui sortaient du cadre.

Avec le temps, nous avons toutefois développé un appétit insatiable pour des critiques dont les styles et les tons varient selon les émotions provoquées par les œuvres ou les contextes, des critiques qui s’engagent, qui sont poussées par la nécessité de revenir à l’amour que nous éprouvons pour l’art et la littérature.

Nous rêvons maintenant à un laboratoire expérimental de création pour recréer la critique. Non pas la repenser depuis ses conditions historiques, mais la soumettre à l’extraordinaire pouvoir qu’a le geste de création littéraire de repenser les formes afin de déplacer les attentes des lecteurs et de donner envie aux auteurs de faire de la critique autrement.

Nous ne prônons pas le désaveu des pratiques de nos collègues et amis. Nous voulons au contraire dé-finir la critique : encourager des formes critiques créatives qui existent déjà, mais dont la présence dans nos revues nous semble encore trop timide.

Par geste critique, nous entendons une critique consciente de son instabilité et qui se définit dans sa relation avec son objet. Cette critique reste analytique, mais ce faisant, elle reconnaît la fragilité de toute prise de parole : elle ne se contente pas d’analyser la sensibilité, elle demeure sensible.

Contre les descriptifs objectivants et les analyses autoritaires persuadées d’avoir raison, la critique se fait geste quand elle se remet en cause, se donne à voir comme forme et se réfléchit comme situation, quand, sans pour autant basculer dans la simple opinion, elle laisse place à l’expression d’une subjectivité affectée qui ne pourra jamais être remplacée par l’intelligence artificielle.

Nous demandons aux critiques de fabriquer leur propre rigueur, comme un poème peut aussi être rigoureux, comme le sont les sentiments lorsqu’ils s’expriment en concordance avec les situations qui les suscitent. La rigueur qui est visée par les textes-gestes est celle d’une approche littéraire : une adéquation, productrice de sens et conséquemment créative, entre la forme et le fond.

Nous croyons que la littérature permet de réinvestir l’espace critique en faisant des gestes performatifs avec leurs corps pensants, des gestes motivés par des élans affectifs, en proposant des textes qui ne disqualifient pas les émotions au profit du savoir, des prises de parole qui, dans leur recherche d’hospitalité, se montrent vulnérables en exprimant désirs, échecs, souvenirs et failles ; une critique affectée.

Il faut une certaine forme d’humilité pour laisser les auteurs écrire ce qu’ils ont envie d’écrire en toute liberté, dans la forme qu’ils considèrent comme appropriée ; pour remettre en question les présupposés tacites d’une bonne critique qui nous habitent, ce qui n’est pas toujours aisé.

Toute expérimentation mobilise une bonne dose de naïveté, conduit à des échecs, crée des malaises et reconduit des dynamiques que l’on croyait évitables, mais nous sommes persuadés qu’il vaut la peine d’aménager des espaces critiques accueillant la vie des idées dans toute sa spontanéité, dans toute sa créativité, dans son imperfection, dans l’extraordinaire diversité de ses formes d’expression.

Autrement dit, ça prend de l’humilité pour laisser les affects s’exprimer. C’est à cet exercice d’humilité que nous invitons toutes les personnes impliquées dans l’exercice critique.

Des commentaires ou des suggestions pour Des Idées en revues ? Écrivez à dnoel@ledevoir.com.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo