Quelques pistes économiques pour contrer le vent de droite

Les gouvernements provinciaux et fédéral devraient s’atteler à diminuer la place du privé dans un certain nombre de secteurs, estiment les auteurs.
Photo: Darryl Dyck La Presse canadienne Les gouvernements provinciaux et fédéral devraient s’atteler à diminuer la place du privé dans un certain nombre de secteurs, estiment les auteurs.

Depuis le 20 janvier, les médias canadiens ont, dans une proportion ahurissante, consacré leurs couvertures à la menace des tarifs imposés par le gouvernement Trump, reléguant au second plan les faits déjà bien documentés du viol massif des droits de la personne et des manœuvres systématiques de démantèlement de la démocratie qui se déroulent chez nos voisins du Sud. Cette disproportion, hélas, ne donne pas lieu à l’expression d’un meilleur jugement sur les actions à faire devant l’urgence économique créée par les menaces tarifaires. Bien au contraire, l’espace médiatique est saturé de propositions émanant de la classe d’affaires qui laissent présager des reculs importants sur les plans écologique et économique : relance des projets de GNL Québec et du projet Énergie Est, report de l’abolition de vente de véhicules à essence, abaissement des taux d’imposition des entreprises aux niveaux états-uniens, notamment.

Comme ce fut le cas durant la pandémie, cette nouvelle crise nous demande de réfléchir plus largement sur les outils économiques à notre disposition pour améliorer notre qualité de vie tout en opérant le virage écologique nécessaire. Nous pensons que les réponses doivent s’inscrire non pas dans une perspective industrielle de développement du Québec Inc., mais dans l’élargissement des modes de production et de consommation de besoins fondamentaux qui sortent de la logique du marché privé.

Renforcer et multiplier ces circuits de biens et de services hors marché rendront l’économie du Québec plus résiliente face aux chocs inflationnistes et tarifaires, hier causés par la pandémie, aujourd’hui par l’extrême droite. Cet argument doit être pris au sérieux, car ces chocs ne s’estomperont pas, même dans le monde post-Trump, compte tenu d’un contexte géopolitique et écologique de plus en plus instable.

Le boycottage est certes l’une des stratégies à adopter. Nous regrettons d’ailleurs que la campagne BDS (Boycottage, désinvestissement et sanctions) dirigée à l’endroit d’Israël n’ait pas connu le même engouement. Cependant, le boycottage doit s’inscrire dans une logique plus grande de transformation économique d’affranchissement de la dépendance extérieure d’une part, et du renforcement de l’économie solidaire et durable écologiquement d’autre part. Plutôt que de s’en remettre au secteur privé et au soutien public dont il bénéficie, les gouvernements provinciaux et fédéral devraient s’atteler à diminuer la place du privé dans un certain nombre de secteurs.

Nous proposons la mise en place d’une société d’État : Épicerie Québec. On sait déjà que la distribution alimentaire est une activité lucrative. Pourquoi ne pas mettre en place une société d’État non monopolistique dont le mandat serait de s’établir prioritairement dans les déserts alimentaires, de valoriser la production locale, la vente de légumes « moches » et de produits équitables, et d’y développer des ateliers culinaires, des cuisines collectives et des lieux de transformation alimentaire consacrés aux institutions publiques (CSHLD, hôpitaux, écoles) ?

Nous devons investir massivement dans le logement social pour atteindre la cible de 20 % de logements hors marché d’ici 15 ans promue par le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), une cible qui sera atteinte par la mise en place de moyens et de ressources humaines nécessaires à l’achat et à la conversion de terrains privés actuellement en vente, au développement de programmes de soutien et de développement de coopératives, de cohabitats et de logements sans but lucratif dans une optique ambitieuse de densification urbaine environnementalement viable, loin de l’image des blocs bétonnés construits par les plus bas soumissionnaires.

Nous devons avoir un plan de revalorisation des services publics financés par une taxation massive des biens de luxe : plus de piscines publiques, moins de piscines privées, plus de lieux de partage de savoirs et d’outils, moins de garages privés, plus de transport public, de voitures partagées et de covoiturage, moins de Tesla. Ce plan doit inclure l’intégration de milliers de professionnels qui travaillent actuellement dans le privé : psychologues, médecins, fiscalistes, architectes, ingénieurs, etc. L’État doit se doter de l’expertise nécessaire pour faire face aux multiples besoins de la population sans dépendre des contraintes propres au secteur privé.

L’investissement dans des services publics de qualité devra se faire par l’humanisation et la régularisation permanente des centaines de milliers de travailleurs migrants temporaires ou non documentés qui sont actuellement traités comme une main-d’œuvre bon marché renvoyée au gré des fluctuations économiques. Un plan d’envergure d’accueil des personnes réfugiées, soutenues par des services d’intégration complets (langue, service de garde, logement, scolarisation), nous permettrait de faire amende honorable en ce qui concerne notre dette écologique à leur endroit et de rétablir les principes humanitaires dont nous nous targuons d’être des défenseurs.

Ces mesures mises en place réduiraient la part des dépenses les plus importantes des ménages, soit la nourriture et l’habitation, ce qui permettrait de mieux faire face à une hausse inflationniste dans des secteurs plus difficilement contrôlables dans un marché nord-américain fortement intégré. Alimentation, logement, entraide humanitaire : trois piliers sociaux et économiques qui, sortis de la logique marchande, apportent sécurité économique et paix d’esprit nécessaires à l’épanouissement des individus et renforcent leur capacité à faire face au défi écologique, à contrer l’extrême droite et à consolider des solidarités ici et ailleurs.

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