L’INEE du siècle

«Cessons de jouer à la chaise musicale avec l’éducation de nos enfants», dit l’auteur.
Photo: Catherine Legault Archives Le Devoir «Cessons de jouer à la chaise musicale avec l’éducation de nos enfants», dit l’auteur.

Comme plusieurs, j’attendais avec impatience la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE), voilà que les grandes lignes en sont enfin dévoilées. J’en suis bien content, mais rien n’est encore très clair, sinon que le portrait est encore sombre en éducation.

Ce qui mène à formuler une mise en garde qui, à mes yeux, est primordiale lorsqu’on décide d’ajouter une couche supplémentaire au mammouth bureaucratique déjà existant. S’il vous plaît, ô grands dirigeants, n’empirez pas la situation.

Dans cet esprit, je me permets de partager avec vous une technique très efficace pour empêcher de greffer une lourdeur de plus à la lourdeur existante : être à l’écoute. De qui ? Des gens qui travaillent dans les classes, de l’autre côté du formulaire, donc des travailleurs, et non des gens assis confortablement dans un bureau bien climatisé.

Je m’explique. Devant les derniers scandales affectant notre jeunesse, le vieux Socrate a certainement dû se retourner dans sa tombe, régurgitant du même coup la ciguë. Toi qui voulais corrompre la jeunesse, eh bien, tu sais quoi, mon cher Socrate (oui, je le tutoie, je l’ai lu assez pour cela) ? La jeunesse ne va pas bien du tout. Et ce n’est pas sa faute à elle — ni la tienne, d’ailleurs. La faute vient de certains adultes qui portent un masque de dirigeants et d’intervenants, ceux que j’ai déjà nommés les mandarins de l’éducation. Ce sont ces derniers qui sont devenus corrompus, et cela, dans le mauvais sens du terme. Le résultat ? On a au Québec un système en totale déconnexion avec ce qui se passe sur le plancher des vaches.

Lorsque j’ai commencé à écrire des textes ici et là, on disait de moi (et on le dit encore, sans doute) : « Pour qui se prend-il, ce non légalement qualifié pour critiquer notre école ? » Il est vrai que je n’avais pas toutes les qualifications requises. Quoiqu’à l’école Bedford, ils les avaient toutes, leurs qualifications, idem au centre jeunesse Cité-des-Prairies, et on a vu ce que ça a donné.

Parlant de Bedford, vendredi, le ministre a rendu public un plan d’action qui recommande, parmi les nombreuses mesures correctrices prescrites, une évaluation de l’enseignant tous les deux ans. Qui ira s’opposer à cela ? L’évaluation du personnel, c’est la base en ressources humaines. J’ai été plus souvent évalué durant mon emploi étudiant consistant à prendre des appels pour une banque que je ne le suis maintenant en formant les générations futures. Ce n’est pas normal. Si vous faites votre travail, de quoi auriez-vous peur ? L’INEE pourrait même avoir un rôle à jouer dans cette évaluation en se basant sur les données probantes, et ce, sans que ce soit la direction qui s’en charge, ce qui éviterait les conflits d’intérêts à l’intérieur de l’école.

Mais je m’égare. Je disais donc que, quand j’ai commencé à écrire mes textes, j’avais les deux mains salies par le travail de terrain abattu et le front baigné de sueur à cause des locaux trop chauffés. J’avais mes bottes de travail et je pouvais voir la réalité telle qu’elle était et telle qu’elle l’est encore. Et elle n’est pas trop glorieuse. Je vivais et je vis encore quotidiennement avec les contrecoups de la bureaucratie absurde d’un système public où l’impunité est un terme qui n’existe pas.

Contrairement à ces gens, je me suis toujours senti connecté au milieu dans lequel j’étais, le fait que j’enseigne dans le quartier qui m’a vu grandir y facilite certainement mon enracinement.

Pour paraphraser un autre philosophe plus près de nous, j’ai nommé Martin St-Louis, « personne ne joue sa game dans la game ». Si vous n’avez jamais fait d’insomnie en pensant à Félix et à son diagnostic qui n’arrive pas, à Madeleine, qui ne veut pas quitter l’école parce qu’elle se fait maltraiter à la maison ou à Roméo qui fait sortir ses petits copains de la classe parce qu’il lance les bureaux par terre, pouvez-vous vraiment comprendre l’effet des rouages du système sur une classe sans jamais y avoir mis les pieds ?

Connaissez-vous réellement les dommages collatéraux des décisions prises par un seul de nos trop nombreux comités ? Tant que l’on n’a pas vécu ces choses au quotidien, il est difficile de prendre des décisions éclairées en connaissance de cause. Je crois sincèrement que les gens responsables doivent aussi se salir les mains, dans le bon sens du terme, cette fois-ci, pour être en mesure de bien comprendre « la game », comme le dit l’entraîneur-chef du Canadien. Trop souvent, nous voyons des dirigeants provenant de milieux qui n’ont pas de liens directs avec le domaine ou bien ils ont enseigné, oui, mais il y a de cela 20 ans.

Revenons à l’INEE et à ceux qui nous guideront vers les meilleures pratiques. Nous voulons voir du concret et pour cela, il faudra être en contact avec une pédagogie qui aidera le professeur à intervenir dans sa classe dès le lendemain matin. Nous n’avons pas besoin de livres ou de vidéos savamment mises en scène où tout est calculé d’avance avec des élèves modèles. Au début de ma jeune carrière — et j’ai pu le constater moi-même avec le temps, j’ai entendu des collègues déplorer un sentiment d’incompétence à l’issue d’une formation.

Cela devrait être le contraire. Des techniques d’enseignement qui, sur papier, ont du sens, mais qui, en réalité, deviennent utopiques une fois les facteurs gros bon sens, ressources et temps pris en compte ; il y en a trop. Comment appliquer cette belle théorie sans ajouter plus de minutes à un horaire qui affiche déjà complet sans se sentir nul ?

Je suis d’avis que les données probantes sont d’excellents éléments pour guider nos décisions, pour former le personnel et j’en passe. Mais pourquoi ne pas l’avoir créé avant ? Qui peut être contre ce changement ? Ce n’est pourtant pas l’INEE du siècle, oups, l’idée du siècle, puisqu’on en retrouve déjà de semblables dans plusieurs pays et depuis longtemps.

Je nous mets donc en garde contre la pensée magique. L’INEE ne viendra pas faire disparaître le manque de personnel et de ressources, il ne changera pas la composition de la classe, ni ne viendra corriger les défauts de l’inclusion à tout prix. Il n’effacera pas les compressions budgétaires, la vétusté des écoles restera problématique, le rôle du parent, compliqué, la gestion, bureaucratique, etc.

Avant de terminer, je vais m’inspirer une fois de plus de l’entraîneur de la Sainte-Flanelle, qui a sagement dit de ses joueurs qu’ils doivent être assis sur la bonne chaise pour se surpasser. Ça vaut aussi pour nos enfants. J’ajouterais, même, cessons de jouer à la chaise musicale avec l’éducation de nos enfants. Souhaitons-nous, comme grand patron assis à la grande chaise de l’INEE, quelqu’un qui non seulement connaît la game, mais joue la game. Quelqu’un pour qui, en somme, l’éducation est innée.

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