Il faut plus que de l’argent, il faut des moyens pour notre culture

Albert Camus a dit : « L’art n’est pas une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. L’artiste se forge dans cet aller-retour de lui aux autres, à mi-chemin entre la beauté dont il ne peut se passer et la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. »
Les revendications actuelles du milieu culturel québécois pour une augmentation des subsides gouvernementaux et pour la création d’un filet social adéquat pour ses travailleurs sont nécessaires, mais elles ne parviendront pas seules à régler les problèmes structurels auxquels notre culture, en profond déséquilibre, fait face.
Notre culture québécoise est, comme toutes les autres, un mélange d’héritages, de créations contemporaines et de pratiques collectives qui façonnent notre identité en mouvance perpétuelle et assurent son rayonnement. Pour qu’elle survive et croisse, cette ressource naturelle fondamentale doit rester accessible au plus grand nombre, diversifiée au possible et ouverte sur le monde. Elle doit aussi être viable économiquement et répondre aux attentes du public.
La culture, c’est un peu comme l’électricité.
Pour la voir apparaître, il suffit d’utiliser des matières premières — la création, le patrimoine et l’inconscient collectif pour l’un ; l’eau, l’hydrogène, etc., pour l’autre — et de les transformer en œuvres, en produits et en expériences pour distribution. Une fois celle-ci produite, il faut voir à son développement intelligent, en régir l’utilisation et innover lorsqu’il s’agit de la renouveler. Sans quoi la ressource peut être utilisée inadéquatement et se tarir. C’est alors toute la société qui en souffre.
Pour vivre décemment, toutes et tous doivent être éclairés et chauffés par la culture. Mais pour que cela ait lieu de manière à contribuer au mieux-être sociétal, il faut bien sûr des combats de court terme, des poussées salvatrices, mais aussi des engagements fondamentaux qui assureront sa pérennité.
Voici trois propositions qui pourraient aider à endiguer foncièrement la crise bien réelle à laquelle tant de nos artistes et artisans font face et qui se répercute directement sur la qualité de vie des citoyens du Québec.
Se doter d’une stratégie nationale de développement des publics
Il ne s’agit pas ici de viser une simple augmentation des ventes aux guichets ou des taux de participation plus élevés. Pour que notre culture se porte mieux, longtemps, il nous faut une stratégie nationale de développement de public de longue haleine, à deux volets.
Il est d’abord temps que les corps publics et privés redoublent d’efforts ciblés et concertés qui touchent par exemple les citoyens issus de l’immigration, les allophones, les jeunes (en milieu scolaire et autrement) et les populations régionales pour que ces clientèles s’initient et aient accès à la culture québécoise et se l’approprient.
Dans un deuxième temps, il est aussi impératif que la culture d’ici rayonne au cœur de toute l’action gouvernementale et que partout — sur les routes, dans les hôpitaux, les écoles, les palais de justice, les parcs, les usines, les téléphones, le monde numérique, etc. —, la culture d’ici soit présente, accessible et attrayante pour le plus grand nombre.
Créer la Régie de la culture du Québec
Il ne faut pas avoir peur d’instituer un organisme public ayant pour mandat l’harmonisation de l’offre et de la demande, basée sur la protection et l’évolution de la ressource, le respect de la création, du patrimoine, la protection et le développement de la main-d’œuvre, ainsi que sur l’intérêt sociétal de la population.
Bien sûr, on ne peut gérer la culture qu’en offre et demande. Se fier uniquement au marché pour réguler le flux culturel d’une communauté peut entraîner des dérives, ne serait-ce que pour des raisons strictement mercantiles ou de performance. Volontés qui peuvent mener à un abaissement général de la qualité de l’offre.
Pour éviter de tomber dans ce type de piège, la Régie de la culture du Québec (qui pourrait intégrer l’Observatoire de la culture et des communications) agirait comme un organisme central d’information, de coordination et d’analyse s’assurant que la recherche, la création, la production et la diffusion propres au domaine culturel sont bien respectées et adaptées aux réalités démographiques, économiques et sociales du Québec.
Implanter une pratique de médiation entre les gens de création, ceux de programmation et ceux de la mise en marché
Il faut instaurer, par la mise en forme de programmes innovants, une habitude de médiation entre créateurs, programmateurs et professionnels de la mise en marché qui fasse que ces groupes essentiels à l’accès à toute offre culturelle, entités trop souvent éloignées et mal comprises les unes des autres, apprennent à évoluer sur une base réciproque pour leur propre avancement et au plus grand profit des bénéficiaires de leurs efforts : les citoyens et consommateurs.
Il nous faut ces grands moyens, et bien d’autres.
Mesdames et Messieurs les élus québécois et canadiens de tous les partis, bâtisseurs et amis de la culture, vivement un sommet sur la culture pour travailler à la ressource !
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