Une entreprise de l’est de Montréal rejette des BPC dans l’air

La Compagnie américaine de fer et métaux a rejeté à plusieurs reprises des BPC dépassant nettement les normes en vigueur pour cette substance toxique dans l’air de Montréal, a appris Le Devoir. Cette situation inquiète vivement la Ville et le gouvernement du Québec, qui tentent depuis plusieurs mois d’avoir l’heure juste sur les risques pour la santé publique.
L’entreprise, aussi connue sous le nom d’American Iron & Metal (AIM), exploite un important site de recyclage de métaux sur le territoire de Montréal-Est qui traite un large éventail de produits depuis plusieurs années. Sur son site Web, elle se présente comme un « partenaire écologique » dans le domaine.
Selon des informations obtenues par Le Devoir, les opérations sur le site ont émis à plusieurs reprises des biphényles polychlorés (BPC) au-delà des normes permises par le Règlement relatif à l’assainissement de l’air de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), et ce, depuis mai 2024.
En octobre dernier, les normes de la CMM ont par exemple été « dépassées » pour huit des dix périodes d’échantillonnage, indique un rapport obtenu par Le Devoir. Le plus haut dépassement mesuré atteignait 41 fois la norme, qui est fixée à 0,01 microgramme par m3 sur une période de huit heures. D’autres mesures prises durant les mois précédents ont démontré des dépassements de 3, 4, 12, 15 et même 30 fois la norme.
Les prélèvements effectués pour cette substance réputée cancérigène sont réalisés à partir d’une « station située en limite de propriété » pendant huit heures, deux fois par semaine, « durant les heures normales d’opération de déchiquetage » des matières traitées.
Il n’existe toutefois pas de données avant mai 2024. C’est seulement à partir de ce moment que la division du contrôle des rejets industriels du Service de l’environnement de la Ville de Montréal a demandé à AIM d’inclure les BPC dans son programme de surveillance de la qualité de l’air. La Ville a fait cette demande à l’entreprise à la suite de la réception d’informations sur de potentiels rejets de BPC.
Depuis cette date, les données récoltées chaque mois sont comptabilisées dans des rapports produits par une firme mandatée par AIM et remis à la Ville. Ces documents font aussi état de la direction des vents, et donc de la possible propagation des rejets dans le secteur. Un quartier résidentiel se trouve à environ un kilomètre des installations de l’entreprise, qui est située dans un secteur où on trouve plusieurs types d’entreprises et de commerces, ainsi que le parc-nature du Bois-d’Anjou.
« Enquête »
Aucun portrait détaillé de l’étendue d’une potentielle contamination n’est disponible pour le moment. La Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP) confirme cependant qu’elle mène présentement « une enquête épidémiologique », et ce, « à la suite de la réception d’un signalement de la Ville de Montréal concernant des émissions élevées de polluants par l’entreprise ».

« Dans ce cadre, la DRSP évalue les risques pour la santé associés aux polluants émis et mesurés sur le site de l’entreprise AIM. Elle collabore avec la Ville de Montréal ainsi qu’avec l’ensemble des parties prenantes afin d’obtenir les données nécessaires à la réalisation de cette enquête », précise la DRSP par courriel. Selon les informations obtenues de deux sources, l’entreprise n’a pas encore transmis toutes les informations demandées.
Le Devoir a tenté de contacter à plusieurs reprises AIM par téléphone et par courriel pendant trois jours. « On m’avise de ne pas vous répondre, donc de ne pas vous donner de commentaires », a simplement indiqué une personne à la réception des bureaux d’AIM. Nos demandes envoyées directement à la personne à qui sont remis les rapports mensuels de suivi des BPC sont restées sans réponse.
L’entreprise, qui exploite plusieurs installations au Québec et ailleurs au Canada, conteste devant les tribunaux un règlement de la CMM adopté en 2022 qui l’obligerait à capter les polluants atmosphériques émis dans le cadre de ses activités industrielles. Selon la requête présentée au printemps dernier, AIM estime que ce règlement est « discriminatoire, déraisonnable et arbitraire », tout en faisant valoir qu’elle respecte bel et bien les normes fixées par la CMM.
Inquiétude
Vice-présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, Caroline Bourgeois se dit « très préoccupée » par les rejets de BPC. « Quel est l’impact potentiel pour la santé des familles ? C’est un gros problème, en février 2025, de ne pas pouvoir répondre à cette question », laisse-t-elle tomber en entrevue, en évoquant « une entreprise qui ne semble pas vouloir démontrer sa collaboration ».
La mairesse de Montréal-Est, Anne St-Laurent, abonde dans ce sens. « C’est exaspérant et c’est très décevant. Honnêtement, comme élus, nous sommes démunis et on ne peut pas avancer sans la collaboration d’AIM, déplore-t-elle. C’est un cri du cœur que je lance à AIM : collaborez avec les autorités pour nous permettre de voir clair, de protéger nos citoyens et de régler la situation. »
« Comment se fait-il que des BPC soient déchiquetés sur le site ? C’est interdit », soutient pour sa part la responsable de l’environnement et de la transition écologique au comité exécutif de la Ville de Montréal, Marie-Andrée Mauger. La Ville a d’ailleurs suspendu en 2024 un permis qui permettait à AIM d’utiliser un déchiqueteur de métal qui était jugé problématique. L’entreprise conteste cette suspension, précise Mme Mauger.
« Je tiens à exprimer mon inquiétude à l’égard du comportement de la compagnie AIM, responsable des rejets de BPC dans l’air », affirme la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire et députée de Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau, dans une déclaration écrite.
« Je soutiens fermement l’objectif de la Ville de Montréal de faire appliquer strictement les règles sur la qualité de l’air. Il est inacceptable que des substances dangereuses comme les BPC soient rejetées, mettant en danger la santé des citoyens », ajoute la ministre.
« Nous suivons la situation concernant les émissions de BPC et nous sommes disposés à collaborer avec la Ville de Montréal, qui est responsable de la qualité de l’air sur son territoire. La santé de la population est bien évidemment notre priorité et nous souhaitons que des solutions soient trouvées rapidement », fait valoir pour sa part le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette.
Environnement et Changement climatique Canada dit pour sa part que le gouvernement fédéral « collabore étroitement » avec Montréal et le gouvernement du Québec dans ce dossier. La Ville n’a pas souhaité s’avancer, pour le moment, sur d’éventuelles actions juridiques contre AIM.
Des produits hautement toxiques
Les BPC sont classés comme des « matières dangereuses » en vertu de la réglementation en vigueur au Québec. Leur présence sur le territoire québécois est documentée et suivie depuis l’accident de 1988 à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie.
La définition du gouvernement fédéral témoigne aussi du risque qu’ils représentent : « Les BPC persistent très longtemps dans l’environnement ainsi que dans les tissus des humains et des animaux. Les données scientifiques disponibles révèlent qu’à de très faibles concentrations, ils sont probablement cancérigènes pour les humains et toxiques pour les poissons. Si les BPC sont brûlés dans des conditions non contrôlées, ils produisent des dioxines et des furanes, composés qui sont très cancérigènes. »
Les BPC ont été utilisés comme liquides isolants dans les transformateurs et les condensateurs électriques, comme échangeurs de chaleur et dans diverses autres applications spécialisées jusqu’à la fin des années 1970. Depuis 1977, leur importation, leur fabrication et leur vente sont interdites au Canada en vertu d’une réglementation fédérale.