Faire mieux, et vite
Faut-il tolérer ou démanteler les campements de sans-abri ? Cette insoluble question est abordée en profondeur dans un récent rapport municipal faisant le point sur l’itinérance, phénomène d’une complexité qui ne cesse de surprendre.
L’itinérance crève les yeux à Montréal et dans d’autres agglomérations au Québec. Elle est encore plus visible en ces jours de grand froid, les sans-toit se réfugiant tant bien que mal dans le métro ou dans les espaces publics pour échapper aux morsures du « bonhomme hiver » dans toute sa fureur.
Selon les données du plus récent dénombrement montréalais, près de 4700 personnes étaient en situation d’itinérance en 2022, dont près 800 dormaient dans la rue faute de place dans les centres d’hébergement. De nombreux experts vous diront que le portrait actuel est encore plus sombre dans un contexte de crise exacerbée du logement, en particulier dans le segment abordable ou social. L’itinérance cachée (dans un squat, chez un tiers ou dans sa voiture) amplifie par ailleurs le problème, désormais qualifié de « crise humanitaire » au Canada, et à juste titre. « L’urgence se vit maintenant, chaque nuit, pour des centaines de personnes à Montréal », constate un rapport du Service de la diversité et de l’inclusion sociale (SDIS) de la Ville de Montréal.
Le document est riche en enseignements et en observations consternantes. L’absence de cohésion entre les acteurs impliqués dans la prise en charge de l’itinérance, le phénomène des portes tournantes, la surcharge des ressources d’hébergement de courte durée, leur incapacité de s’adapter aux besoins éclatés d’une clientèle frappée par la maladie mentale et la dépendance aux drogues, l’impossible lenteur des mises en chantier… Ces failles ressortent avec acuité.
On ressort de la lecture avec la conviction qu’il n’y a pas de solution miracle à la crise de l’itinérance, mais qu’il y a quand même un chemin des possibles pour atténuer la souffrance et améliorer la prise en charge.
Dans l’immédiat, il serait utile d’augmenter le nombre de places en refuges de courte durée et de s’assurer qu’ils peuvent prendre en charge les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de consommation, les Autochtones, les femmes vulnérables et les membres des communautés LGBTQ+. Il s’agit d’autant de clientèles qui ne se sentent pas les bienvenues dans les ressources existantes, qui s’avouent elles-mêmes dépassées par la lourdeur des cas. C’est un cas d’inadéquation flagrant entre les besoins criants d’une population vulnérable et l’offre de services publics.
La prise en charge de l’itinérance ne peut reposer uniquement sur l’administration municipale, alors que l’itinérance progresse partout, telle une fatalité. Dans une récente entrevue au Devoir, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, déplorait que la Ville soit forcée de gérer la double urgence de la crise du logement et de l’itinérance, désormais liées, sans avoir les outils pour le faire. « Il y a une déconnexion du gouvernement du Québec face à l’ampleur de la crise des vulnérabilités », disait-elle. Hors du cercle gouvernemental, vous ne trouverez personne pour la contredire.
Si elle avait une baguette magique pour la dernière ligne droite de son mandat, Valérie Plante sortirait « immédiatement les gens qui vivent dans des tentes ». Ce sujet fait l’objet de vifs débats et de dissensions dans le rapport du SDIS. En bref, le monde communautaire voudrait que les campements soient tolérés, en dépit du caractère spontané et anarchique menant à leur implantation, au nom de la dignité des itinérants n’ayant nulle part où aller. L’administration Plante s’y oppose pour des questions de cohérence dans l’occupation du territoire, de sécurité et d’acceptabilité sociale.
Sur ce point, l’administration Plante a raison de résister. Les acteurs du communautaire sont parfois prompts à dénoncer l’intolérance et le syndrome du « pas dans ma cour ». Ils font parfois de la cohabitation une responsabilité à sens unique, telle une dette des nantis à l’endroit des vulnérables. Cette approche n’est pas garante des conditions du vivre-ensemble et de l’acceptabilité sociale à long terme. Qui plus est, les campements ne constituent pas une solution à la crise de l’itinérance. Ils sont plutôt le symptôme honteux de notre désistement collectif à faire mieux, et vite.
Où iront les campeurs si les ressources débordent ? Si les logements abordables ne sortent pas de terre au rythme des promesses électoralistes ? Si les refuges les refusent parce que leur place est aux urgences dans les moments d’intoxication ou de désorganisation ? Si les urgences les rembarrent parce que leur mission n’est pas d’agir comme centres de répit et de dégrisement ?
Ces questions insolubles nous rappellent que la tolérance zéro ne peut servir de base à la gestion des campements. Montréal est l’une des rares villes qui n’ont pas encore de politique ou de protocole d’intervention pour encadrer la gestion des campements. C’est un trou béant à combler afin de trouver un juste équilibre entre la tolérance zéro et le laxisme, faute de mieux.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.