Bulldozer l’aide internationale
En ce tout neuf mais chaotique début de mandat, le gouvernement Trump a décidé de bulldozer l’aide financière à l’étranger, alors que son apport est crucial. Dans la confusion la plus complète, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) fut démantelée cette semaine. Des milliers d’employés déployés de par le monde sont rappelés aux États-Unis et des milliards de dollars sont gelés, laissant des populations vulnérables sur le carreau. Un cycle historique de secours aux démunis, malades et victimes de pays en grand besoin d’aide humanitaire vient d’être anéanti.
La décision fut brutale, comme tout ce qui a émané des diktats catapultés par le gouvernement de Donald J. Trump depuis son arrivée en poste, il y a tout juste deux semaines. Au premier jour, le 20 janvier, il signait un décret suspendant pendant 90 jours toute aide internationale, le temps d’en évaluer la pertinence. L’analyse fut de courte durée. Cette semaine, à coups de déclarations bébêtes, Trump et son sbire milliardaire Elon Musk ont fermé ou mis sous tutelle — ce n’est pas encore très clair — l’USAID. Le secrétaire d’État, Marco Rubio, affirme en être le directeur par intérim. L’agence indépendante constituée par une loi du Congrès américain gère un budget de quelque 40 milliards de dollars, ce qui constitue un peu moins de 1 % du budget américain. En raison de la puissance financière des États-Unis, cela représente toutefois environ 47 % du soutien humanitaire mondial.
« L’USAID est dirigée par une bande de fous radicaux, et nous allons les sortir de là ! » a déclaré Donald Trump dimanche. Sur son réseau social X, le chef du département de l’Efficacité gouvernementale, Elon Musk, a envoyé une multitude de tweets qualifiant l’USAID d’« organisation criminelle », comparant l’aide étrangère au « blanchiment d’argent » et associant les employés de l’USAID à une « branche de mondialistes de la gauche radicale ». « Nous avons passé le week-end à passer l’USAID dans la déchiqueteuse à bois », écrivait-il lundi. L’image qu’inspirent ces âneries est proprement insupportable : pendant qu’en Asie, en Afrique ou en Amérique latine des orphelins, des victimes du sida et d’autres grands malades voient leur traitement et leur soutien coupés séance tenante, deux grands gamins tirent les ficelles de l’ordre mondial en ricanant, et c’est à qui poussera l’immonde le plus loin.
L’Agence des États-Unis pour le développement international est démantelée dans la sauvagerie la plus vile, à total contresens des visées qui ont présidé à sa création. « […] il convient de prendre du recul et de poser avec franchise une question fondamentale : un programme d’aide étrangère est-il vraiment nécessaire ? […] La réponse est qu’il est impossible d’échapper à nos obligations : nos obligations morales en tant que leader avisé et bon voisin dans la communauté interdépendante des nations libres ; nos obligations économiques en tant que peuple le plus riche dans un monde majoritairement pauvre […] ; et nos obligations politiques en tant que principal moyen de lutte contre les adversaires de la liberté. » Cet énoncé a été prononcé par le président John F. Kennedy le 22 mars 1961, dans un message destiné au Congrès sur le soutien financier américain destiné à l’étranger. On ne pourrait trouver philosophie plus tranchante avec la doctrine trumpienne.
La dislocation brutale de l’USAID ne s’illustre pas seulement par le rappel et la fin d’emploi de 10 000 artisans de l’aide humanitaire déployés dans quelque 130 pays. Cette semaine, des échos déchirants venus du terrain décrivaient le chaos le plus total. Des médecins dont le quotidien consiste à sauver des bébés et de jeunes enfants de maladies ou de malnutrition mettant leur vie en péril ne savent pas si l’assaut sonné par le gouvernement Trump vise aussi leurs actions vitales. Des sommes sont gelées, des demandes de suspension pour au moins trois mois sont acheminées, des paies ne sont pas versées. Au Soudan, en Jordanie, en Éthiopie, au Yémen, en Afghanistan, en République démocratique du Congo, les vivres sont coupés. Les luttes vitales menées contre la malaria, la famine, le régime taliban et ses effets sur l’éducation des filles, tout cela est menacé. Sur le plan géopolitique, le retrait des Américains de zones sensibles ouvre grand la porte à l’influence russe ou chinoise.
Le PEPFAR (Plan d’urgence du président américain pour la lutte contre le sida), qui a permis de sauver des millions de vies menacées par le sida, est mis sur pause et avec lui, la livraison quotidienne de médicaments destinés à des personnes séropositives dans quelque 50 pays. En Afrique du Sud, pays dont 14 % de la population est séropositive, l’Agence France-Presse établie à Johannesburg décrit le chaos : des cliniques fermées, des directeurs de centres en attente de réponses, des patients inquiets. Les États-Unis ont laissé entendre que des dérogations seraient possibles, mais on ne sait pas à qui elles seront destinées. Trump a décrété. Derrière ses déclarations chocs, le tumulte est semé. Dans tout ce désordre, le facteur humain n’est jamais pris en considération.
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