«Soleil d’abandon»: seuls et avec d’autres

À la faveur d’un été caniculaire, les protagonistes du troisième roman de Mathieu Rolland gravitent en orbite autour du cadavre calciné d’un enfant, retrouvé à la lisière d’une forêt, en pleine campagne.

Y vit le couple formé par Jacob et Emmanuelle, qui ont une quarantaine d’années. Astrophysicien travaillant pour l’Agence spatiale canadienne, avide de poussière d’étoiles, il a la tête dans les nuages. Elle est peintre hyperréaliste et produit en série des tableaux où elle se représente de façon étrange et un peu obsessive. Mais depuis sa dernière exposition il y a cinq ans, c’est la panne artistique. L’événement tragique et mystérieux viendra réveiller sa créativité.

François, le frère aîné de Jacob, est pour sa part un photographe obsédé par les déserts, un homme qui sait comment « circuler dans un espace qui lui était hostile, à lui comme à toute forme de vie ». Toujours parti, il laisse souvent seule sa compagne, Julie, une traductrice qui tente de soigner une dépression.

L’inspecteur chargé de l’enquête, lui, est veuf depuis peu, souffre de problèmes de santé et parle aux morts.

Les deux frères, on le découvre peu à peu, portent la blessure du départ de leur mère, disparue un jour sans laisser de traces. Cet abandon fondateur, on le comprendra, conditionne leur rapport au monde et aux autres.

Comme il doit se rendre un jour par semaine à Montréal pour enseigner à l’université, Jacob profite des absences fréquentes de son frère, toujours parti en voyage, pour coucher avec Julie, qui vit mal cette relation adultère et lui reproche le « grotesque » de leur liaison et sa cruauté envers son frère. « De toutes les trahisons que j’ai commises dans ma vie, celle-là est la pire », pense-t-elle.

Cette fois, François séjourne dans le désert d’Atacama, « l’endroit le plus aride au monde », à la frontière du Chili et du Pérou. Obsédé par la photo d’un cheval dans le désert, il ne sait pas exactement pourquoi il traverse la moitié de la planète, mais il espère le découvrir une fois sur place.

« Dieu créa l’homme et ne le trouvant pas assez seul, il lui donna une compagne pour lui faire mieux sentir sa solitude. » Une phrase de Paul Valéry, dans Tel quel, qui trouve un écho particulier dans l’œuvre de Mathieu Rolland. Un peu comme c’était le cas dans De grandes personnes (Boréal, 2023), son second roman, on retrouve dans Soleil d’abandon un quintette de personnages graves et solitaires. Seuls ensemble comme l’étaient déjà les deux protagonistes du magnifique Souvenir de Night (Boréal, 2020), soudés par leurs désirs divergents et entremêlés, animés par une hostilité muette.

Au cœur de cette atmosphère lourde à la Lars von Trier, où semble peser une menace invisible, Mathieu Rolland laisse agir en observateur distant, avec une certaine froideur, la psychologie de ses personnages. La mort de l’enfant, comme un acte sacrificiel, vient éclairer les failles de chacun d’entre eux, donner une voix aux non-dits.

Soleil d’abandon

★★★★

Mathieu Rolland, Boréal, Montréal, 2025, 216 pages

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