Les créateurs de balados s’organisent pour défendre leur art

Face aux nombreux défis qui freinent le développement de leur industrie, les producteurs indépendants de balados de la province veulent parler d’une seule voix. Plus d’une quinzaine d’entre eux sont en voie de fonder un nouvel OBNL, nommé provisoirement l’Association des créateurs et créatrices indépendants de balado du Québec.
« Il en est à ses balbutiements », indique Prune Lieutier, directrice générale de La puce à l’oreille, qui produit des contenus audio narratifs pour enfants et adolescents. « On veut une association qui nous représente auprès des pouvoirs publics, qui soit capable de donner des outils aux membres, comme des grilles tarifaires et des modèles de contrat, et potentiellement être une puissance de négociation. »
Les documents pour constituer l’organisme sans but lucratif ont été envoyés au cours du dernier mois. Le groupe est actuellement à la recherche de financement pour soutenir ses activités.
La production de ces contenus audio numériques, aussi connus sous leur nom anglais podcasts, est en ébullition au Québec depuis une dizaine d’années. De nombreux studios spécialisés ont vu le jour ; de grands diffuseurs institutionnels, des médias indépendants, des organismes artistiques et communautaires et des créateurs indépendants se sont aussi lancés dans l’aventure.
En 2023, 25 % de la population québécoise de 15 ans et plus disait avoir écouté des balados, selon l’Enquête québécoise sur la découverte des produits culturels et le numérique. Les plus jeunes, soit les 15 à 29 ans, sont les plus grands adeptes de cette pratique, puisque 36 % d’entre eux en consomment et utilisent Internet pour en découvrir. Cela reste tout de même beaucoup moins populaire que les livres, la musique, les séries télé et les films.
Mais le parcours de ce milieu émergent est semé d’embûches, comme en témoignent les résultats de la recherche postdoctorale menée par Mme Lieutier avec HEC Montréal et publiée jeudi sous forme de document de synthèse. Cette dernière a analysé les préoccupations d’acteurs de cette industrie exprimées dans près de 300 articles, lors de rencontres collectives publiques et par le biais d’échanges dans des groupes Facebook destinés à ces créateurs.
Elle s’est penchée sur les propos des producteurs indépendants, c’est-à-dire qui ne sont pas détenus par des diffuseurs publics ou des plateformes privées, ce qui exclut les grands médias comme Radio-Canada et Québecor. « Leurs réalités ne sont pas les mêmes », estime la chercheuse.
Se définir pour mieux rayonner
Rareté du financement public, espaces de diffusion saturés, vulnérabilité face aux grandes plateformes de diffusion, manque de données sur les publics, absence de stratégie pour favoriser leur découvrabilité au Québec et à l’international… ce milieu est aujourd’hui peu structuré.
Il y a d’ailleurs un problème de définition, ce qui nuit à la reconnaissance de l’industrie. « C’est quoi, un balado ? Est-ce qu’on met les balados filmés et les livres audio là-dedans ? » se demande Mme Lieutier.
« Les instances qui pourraient financer le balado ont besoin qu’on les aide à circonscrire c’est quoi, pour pouvoir créer des enveloppes et des cases », indique Gabrielle Brassard-Lecours, journaliste et réalisatrice de balados, notamment sous la bannière du média indépendant Pivot. Les subventions gouvernementales sont très rarement destinées aux balados. Les producteurs réussissent parfois à en obtenir en se faufilant dans d’autres catégories. « Il y a plein de sortes de balados : de la fiction, du journalisme, du true crime, des discussions entre humoristes », souligne Mme Brassard-Lecours.
« Quand le financement existe, c’est par projet, et non pas au développement ou au fonctionnement, dit Mme Lieutier. Il y a aussi peu de possibilités de revenus, parce que ces formats sont offerts gratuitement. On n’a pas la marge de manœuvre qui permet d’explorer de nouvelles choses, de s’exporter, de traduire dans d’autres langues. »
Un rêve créatif
C’est exactement ce que déplore William Maurer, de Virage sonore. Sa compagnie obtient des contrats avec des entreprises et des organismes pour créer des balados sur mesure, ce qui apporte des revenus. Il souhaiterait toutefois pouvoir se lancer dans « la création pure, là où il n’y a pas d’intérêt pécuniaire, mais un intérêt culturel ».
Pour être découverts par le public, les producteurs sont aujourd’hui très dépendants des plateformes de multinationales comme Apple et Spotify. « Il y a un problème de transparence, constate Mme Lieutier. On ne sait pas comment mieux faire connaître nos contenus sur ces plateformes. Par ailleurs, Apple pourrait décider demain que tous les contenus en lien avec la diversité de genre ou la Palestine n’ont plus leur place sur Apple Podcasts. Comment se protéger de ça ? »
Parmi les problèmes cités, il y a aussi le manque de représentation auprès des pouvoirs publics, ce à quoi le nouveau regroupement tente de remédier. « Ça va probablement faire avancer les choses, dit Mme Lieutier. Il faut que les institutions se mobilisent pour faire passer cette industrie à un autre niveau. »