Le «buzz» des pipelines
La co-porte-parole de Québec solidaire (QS) Ruba Ghazal a voulu minimiser les résultats d’un récent sondage SOM selon lequel 60 % des Québécois seraient maintenant favorables au passage d’un oléoduc ou d’un gazoduc.
Selon la députée de Mercier, il s’agit simplement d’un « buzz politique » résultant du climat de panique créé par les menaces de Donald Trump dont profiteraient ceux qui cherchent à relancer le projet de pipeline Énergie Est ou de gaz liquéfié GNL Québec. QS a présenté mercredi à l’Assemblée nationale une motion qui demandait au gouvernement Legault de s’opposer à toute initiative de ce genre, ce à quoi il a refusé de s’engager.
Le projet présenté par GNL Québec avait été rejeté en 2021, mais il est certain qu’une nouvelle mouture pourrait obtenir le feu vert si la fameuse « acceptabilité sociale » était au rendez-vous. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, a bien noté que « les Québécois étaient intéressés à voir les choses autrement avec l’élection du président Trump, qu’ils étaient intéressés aussi à parler de sécurité énergétique ».
Bien sûr, il y a la crise climatique. « Mais en même temps, il faut être réaliste » et tenir compte du désengagement des États-Unis, que le Québec ne peut évidemment pas compenser, a dit M. Charrette « Il faut donc s’adapter, notamment au niveau économique, et c’est là où le pragmatisme du gouvernement a toute sa pertinence ».
Bref, la porte est grande ouverte.
Il n’y a pas si longtemps, le premier ministre Legault parlait de cette « énergie sale » qu’il ne voulait pas voir transiter par le Québec. À entendre le ministre de l’Environnement, le Québec et l’Alberta mènent aujourd’hui le même combat contre la menace trumpiste et doivent mettre leurs efforts en commun pour rendre l’économie canadienne plus résiliente.
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Ce n’est pas le premier « buzz politique » qui provoque un regain d’affection pour les énergies fossiles. L’invasion de l’Ukraine avait aussi eu cet effet. En 2023, un sondage Ipsos commandité par l’Institut économique de Montréal (IEDM) indiquait que les deux tiers des Québécois étaient favorables à l’exploitation et à l’exportation de gaz naturel vers l’Europe afin de réduire sa dépendance au gaz russe. Une courte majorité (51 %) se disait même favorable à l’exploitation du pétrole sur le territoire québécois.
Personnellement, M. Legault n’a jamais eu d’objection. C’est seulement à la veille de l’élection de 2018 que la CAQ a effacé de son programme son ouverture à une « exploitation responsable du pétrole » et à « l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique ».
Son intérêt pour l’environnement en général, et les changements climatiques en particulier, est né durant la campagne électorale, quand il a constaté le « buzz » que créait le discours environnemental de QS. Dans son cas, cela était cependant moins affaire de conviction que de stratégie. Dans son esprit, tenir compte de « l’acceptabilité sociale » signifie simplement se plier au désir des électeurs.
Ce n’était pas les émissions de GES ou le danger pour les bélugas qu’il avait surtout retenus du rapport du BAPE sur le projet de GNL Québec, mais plutôt l’opposition qu’il rencontrait dans la population.
L’Agence d’évaluation d’impact du Canada avait également conclu que le projet serait nuisible à l’environnement. Même si le consensus nouvellement créé par les menaces de M. Trump résistait au passage du temps, cela n’en ferait pas disparaître les effets négatifs comme par magie.
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Le député solidaire d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, a établi un intéressant parallèle entre GNL Québec et le troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis, qui ne cesse de se métamorphoser depuis qu’il a été abandonné en avril 2023.
Dans les deux cas, les études ont clairement démontré l’inutilité et/ou la nocivité d’un projet qu’une nouvelle conjoncture politique, que ce soit la défaite de la CAQ à l’élection partielle d’octobre 2023 dans Jean-Talon ou le retour de M. Trump, a poussé le gouvernement Legault à réactiver.
Le troisième lien a encore rebondi à l’Assemblée nationale cette semaine, quand un autre député de QS, Étienne Grandmont, (Taschereau) a brandi un document émanant du ministère des Transports. Le scénario maintenant privilégié ferait passer un tunnel d’une longueur d’environ 12 kilomètres sous les centres-villes de Québec et de Lévis à un coût estimé entre 15 et 20 milliards.
GNL Québec, qui réclame du gouvernement du Québec une somme de 20 milliards pour le rejet de son premier projet, n’en a pas encore présenté un deuxième, mais on est manifestement prêts à lui dérouler le tapis rouge.
C’est néanmoins un pensez-y-bien. La construction d’un gazoduc et d’une usine de liquéfaction ne se fera pas du jour au lendemain et il serait imprudent de parier sur la réélection de la CAQ. D’ailleurs, qui sait combien de temps durera le « buzz » ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.