L’art de ne pas toujours avoir raison
Il y a des livres qui tombent entre nos mains au moment parfait. L’art de ne pas toujours avoir raison, de Martin Desrosiers, est un de ceux-là. Arrivé sous le sapin à Noël, ce court essai m’a immédiatement interpellé, car, depuis quelques années, je m’efforce de poser des questions plutôt que de donner mon opinion. Est-ce un signe de sagesse ou de lassitude ? J’ai mis de côté les autres ouvrages que je lisais pour le dévorer en quelques heures. Peut-être parce que, comme beaucoup d’entre nous, je trouve difficile de naviguer dans un monde polarisé, où chacun campe sur ses positions et sur ses croyances, convaincu d’avoir raison et refusant d’envisager une autre perspective.
Car on a beau prétendre que le soleil tourne autour de la Terre, en être convaincu et être convaincant, il ne change rien au fait que c’est la Terre qui tourne réellement autour du Soleil. Ce livre m’a donc offert une posture intéressante à adopter dans mes échanges, mais m’a aussi rappelé de nombreux parallèles à faire avec mon métier.
Martin Desrosiers s’inspire de Montaigne pour nous rappeler que la sagesse ne réside pas dans l’habileté à convaincre, mais dans la capacité à écouter et à douter de nos croyances. Un message plus pertinent que jamais dans un univers financier où l’ego et la certitude sont souvent les pires ennemis de l’investisseur.
L’essayiste, aussi professeur de philosophie au collège Jean-de-Brébeuf, s’inquiète d’une société où la rhétorique l’emporte sur la réflexion, où le but n’est plus de chercher la vérité, mais de gagner un débat. Pourtant, dans le domaine de la gestion de portefeuille, cette attitude peut être catastrophique. L’histoire des marchés financiers regorge d’exemples où la présomption a conduit à des désastres. Un gestionnaire trop sûr de lui, convaincu d’être plus intelligent que le marché risque de s’aveugler et commettre des erreurs.
L’humilité intellectuelle consiste à accepter l’incertitude, à reconnaître ses limites et à s’adapter en fonction des nouvelles données. Warren Buffett lui-même prône cette discipline en insistant sur le fait que l’important n’est pas d’avoir raison tout le temps, mais d’être capable de reconnaître quand on a tort et d’agir en conséquence. Une simple comparaison des meilleurs rendements boursiers de 2024 montre que personne n’a su tous les anticiper. En finance, savoir dire « je ne sais pas » ou « j’avais tort » est une qualité, et non une faiblesse.
Au-delà de la seule humilité, l’auteur insiste sur l’importance de cultiver un véritable caractère intellectuel. Il distingue la sagesse de la simple malice. Un beau parleur ne fait pas de lui une personne éclairée. Desrosiers encourage la curiosité, cette capacité à explorer des idées nouvelles et à remettre en question nos croyances sans y voir une menace.
En investissement, la curiosité est une amie précieuse. Les meilleurs gestionnaires sont ceux qui regardent au-delà des tendances dominantes. Mais cette curiosité doit s’accompagner de rigueur, pour éviter les raisonnements partiaux, et de tolérance, pour écouter les idées contraires sans les caricaturer. Trop souvent, en finance comme dans le débat public, nous tombons dans le piège du biais de confirmation, qui consiste à chercher les informations qui confirment nos croyances et à rejeter celles qui les contredisent.
Enfin, ma partie préférée du livre est la valorisation du silence et de l’écoute active. Se taire n’est pas un aveu de faiblesse, mais une posture qui permet d’apprendre et de comprendre. En finance, cette capacité se traduit par la gestion du bruit ambiant. Les marchés sont remplis de rumeurs, d’expertises contradictoires et de réactions impulsives ou orgueilleuses. Savoir faire le tri entre ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas, apprendre à ne pas réagir immédiatement à chaque mouvement de marché est essentiel. On doit gérer ses émotions et discerner la vraie tendance de fond.
Les marchés évoluent, les paradigmes changent, et ceux qui s’accrochent à des certitudes rigides peuvent finir ruinés. Comme dans un débat, changer d’avis en investissement n’est pas un signe d’inconstance, mais d’intelligence. Loin de nous affaiblir, avoir cette souplesse nous rend plus résilients face aux incertitudes.
Dans un monde polarisé où chacun campe sur ses positions, L’art de ne pas toujours avoir raison rappelle que la vraie sagesse consiste à cultiver le doute plutôt que la certitude. En finance comme dans la conversation, la clé n’est pas de toujours triompher, mais de construire une démarche qui favorise l’apprentissage et l’adaptation. Montaigne écrivait déjà à l’époque qu’« il n’y a point de fin à nos inquisitions », évoquant l’idée que la quête du savoir et de la vérité est infinie, et qu’on ne peut jamais arriver à une certitude absolue.
Appliquer ces principes à la gestion de portefeuille, c’est embrasser une philosophie fondée sur l’humilité, l’écoute et la souplesse. Non pas pour chercher à toujours avoir raison, mais pour s’améliorer et prendre, en toutes circonstances, les décisions les plus avisées.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.