Action en justice contre deux ministres fédéraux pour exiger la protection d’épaulards en péril

Ce texte est tiré du Courrier de l’environnement. Pour vous abonner, cliquez ici.
Des groupes écologistes ont lancé une action en justice contre les ministres fédéraux Steven Guilbeault et Diane Lebouthillier, jugeant que les autorités auraient dû adopter un « décret d’urgence » pour protéger une population d’épaulards au seuil de la disparition. Le gouvernement reconnaît lui-même les « menaces imminentes » auxquelles font face ces cétacés dans leur habitat dégradé par l’activité humaine.
Les épaulards résidents du Sud sont classés « en voie de disparition » depuis 2001 et leur déclin se poursuit depuis cette date, au point que leur population se limite aujourd’hui à 73 individus. Leur « habitat essentiel » reconnu par le fédéral englobe des zones du sud de la Colombie-Britannique, notamment dans la région de Vancouver, et des zones du nord de l’État de Washington.
Leur situation critique a suscité un certain émoi encore récemment, lorsqu’une femelle bien connue a porté pendant plusieurs jours le corps de son baleineau décédé. C’était la deuxième fois qu’elle agissait ainsi, elle qui a perdu deux de ses quatre baleineaux documentés au cours des dernières années. En 2018, elle avait transporté son baleineau mort pendant 17 jours.
Cette même année, une « évaluation des menaces imminentes » (EMI) réalisée par les experts du gouvernement fédéral concluait que celles-ci « pourraient rendre la survie et le rétablissement de la population improbables ou impossibles ».
Dans ce contexte, des « mesures de gestion » ont été prises en impliquant Pêches et Océans Canada (MPO), Transports Canada, Environnement et Changement climatique Canada et Parcs Canada. Elles comprennent notamment « des fermetures de zones de pêche, des zones de refuge provisoires, des zones de limitation de vitesse, des distances accrues à respecter pour les navires » et des mesures pour le saumon quinnat, une source alimentaire cruciale pour ces épaulards.
« Menaces imminentes »
En 2024, une nouvelle EMI a été réalisée à la suite d’une demande de l’organisation Écojustice, qui exigeait, au nom de six organisations environnementales, un « décret d’urgence » de protection de cette population en situation « critique ». Conclusion des experts fédéraux : « les menaces imminentes pesant sur le rétablissement et la survie des épaulards résidents du Sud sont encore présentes ».
« Aucun changement significatif n’a été observé au niveau de la nature des menaces, de leur probabilité, de leur calendrier et de leurs répercussions, malgré les efforts supplémentaires fournis depuis 2018 pour les endiguer. En fait, la population des épaulards résidents du Sud continue de diminuer », écrit le gouvernement dans son analyse de la situation.
Le document souligne les conséquences du trafic maritime commercial dans l’« habitat essentiel » pour ces épaulards, une espèce pour laquelle la pollution sonore représente une menace majeure. Il cite en exemple le mégaprojet de port de conteneurs « terminal 2 » à Roberts Bank, approuvé par le ministre Guilbeault en 2023, mais aussi le passage des pétroliers qui exportent le pétrole des sables bitumineux du pipeline Trans Mountain. « Les évaluations environnementales liées à chacun de ces projets ont révélé des effets environnementaux négatifs importants sur les épaulards résidents du Sud », rappelle l’EMI.
Le même document met en lumière les impacts du déclin marqué du saumon quinnat, qui est par ailleurs de plus en plus chargé en contaminants. Selon les scientifiques du gouvernement, « la mauvaise condition corporelle » des épaulards serait directement « attribuable au déclin de l’abondance du saumon quinnat ».
Action en justice
Or, malgré ces constats, le fédéral n’a toujours pas adopté de décret d’urgence, comme le permet la Loi sur les espèces en péril (LEP). Les organisations environnementales qui avaient interpellé le gouvernement Trudeau en juin 2024 viennent donc de lancer une action en justice qui vise le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, et la ministre de Pêches et Océans Canada, Diane Lebouthillier.
Les ministres avaient l’obligation de recommander la prise d’un décret, font-ils valoir, en rappelant une décision de la cour fédérale de 2024 qui concluait qu’un délai déraisonnable dans l’émission d’un décret d’urgence contrevient à la LEP. Ce type de décret est semblable à celui utilisé par Ottawa à Longueuil en 2021 pour protéger un habitat de la rainette faux-grillon, mais aussi à celui qui pourrait être imposé au Québec pour trois populations de caribous forestiers.
« Cela fait sept ans que les épaulards résidents du Sud ont été classés comme à risque imminent de disparition. Nous savons quelles actions sont nécessaires pour le rétablissement de ces baleines et le gouvernement doit prendre un décret d’urgence pour les mettre en œuvre », résume Jeffery Young, analyste sénior en science et politique à la Fondation David Suzuki.
Spécialiste principal de la conservation marine au WWF Canada, Hussein Alidina souligne que les groupes ont recommandé plusieurs mesures de protection dans leur requête de juin 2024. Celles-ci visent à augmenter la distance entre les navires et les épaulards, à réduire la pollution sonore du trafic maritime, à établir « un plan de gestion d’urgence » du saumon quinnat et à interdire « le rejet des eaux usées des épurateurs par les navires ».
Le cabinet de Steven Guilbeault n’a pas souhaité commenter le dossier, renvoyant nos questions à MPO. Ce ministère répète que le gouvernement Trudeau « s’est engagé à s’attaquer aux menaces imminentes » pour les épaulards résidents du Sud, notamment par la mise en œuvre de différentes mesures visant à « les protéger contre les perturbations causées par les navires, [à] protéger leur source de nourriture et [à] réduire les contaminants ».
Le gouvernement fédéral reconnaît toutefois qu’il existe toujours des menaces « à la survie et au rétablissement » de cette population. « Les ministres consulteront le gouverneur en conseil au sujet de la prise d’un décret d’urgence, et ils reconnaissent qu’il y a urgence », ajoute MPO, en insistant sur ce passage de sa réponse aux questions du Devoir.