Victoriaville instaure une «écofiscalité» contre la coupe d’arbres, une première au Québec

Une vue aérienne du centre-ville de Victoriaville
Photo: Jacques Nadeau archives Le Devoir Une vue aérienne du centre-ville de Victoriaville

Victoriaville instaure une « mesure d’écofiscalité » pour préserver les arbres sur son territoire. Les promoteurs immobiliers devront désormais débourser 25 $ pour chaque mètre carré de canopée coupée et les montants récoltés serviront directement à reboiser d’autres sections de la ville. Cette forme de taxe est une première au Québec et pourrait ouvrir la voie à d’autres municipalités.

« Ce n’est pas une taxe, mais une redevance », explique Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et partenaire de l’initiative. L’argent récolté par cette « redevance » n’ira pas dans le budget général de la municipalité, mais bien dans un fonds spécifique consacré à la plantation d’arbres. « Ça laisse de la flexibilité. On peut changer le comportement ou choisir de payer la contribution. »

Vingt-cinq dollars par mètre carré de végétation peut sembler peu, mais le montant est « significatif », soutient Jean-Philippe Lemay, avocat à la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), également contributeur du projet. « Pour un lot moyen, un propriétaire qui coupe complètement pour construire versus un propriétaire qui fait une coupe minimum, ça donne une différence de plusieurs milliers de dollars », estime-t-il. « L’idée ce n’est pas d’arrêter le développement à Victoriaville, mais de couper au minimum. L’idée, c’est qu’au fil du temps, la mesure soit de moins en moins appliquée parce qu’on diminue la coupe d’arbre. »

Le montant sera perçu au moment de la demande du permis de construction. Quelque 200 000 $ pourraient être encaissés auprès des développeurs en 2025, selon une estimation de la Ville. En revanche environ 75 000 $ devront être déboursés par la municipalité afin d’acquérir les images satellitaires censées calculer la canopée perdue.

Victoriaville estime que 22 % de son territoire est recouvert à l’heure actuelle par une canopée. Ce nombre pourrait grimper à 30 % advenant le succès de cette mesure d’écofiscalité.

Une première

Ce n’est pas la première fois qu’une municipalité québécoise applique une mesure d’« écofiscalité ». Laval a instauré l’an dernier une redevance sur les « terres agricoles non exploitées » afin de limiter la spéculation des terres cultivables. Ailleurs, la Ville de Prévost a mis en place une redevance sur les produits à usage unique pour limiter le gaspillage plastique.

Lier une redevance à la préservation du couvert forestier, comme le fait Victoriaville, est cependant une première au Québec.

Cette approche offrira des gains pour les Victoriavillois, observe Jean-Philippe Lemay. Préserver les arbres et les écosystèmes est reconnu comme l’une des meilleures solutions par la recherche scientifique « autant dans la lutte [contre les] changements climatiques que pour l’adaptation aux changements climatiques », dit-il.

« Pour atténuer nos émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux défis liés aux îlots de chaleur, la plantation d’arbres s’impose comme une solution essentielle », a commenté par écrit le maire de Victoriaville, Antoine Tardif, qui n’a pu être rejoint pour cet article.

Le nouveau pouvoir des villes et villages

Imposer un prix à la coupe d’arbres pour financer le reboisement, comme le fait Victoriaville, est un privilège qui n’existe pratiquement qu’au Québec, note la professeure de l’ENAP. « C’est une spécificité québécoise. On est probablement l’endroit dans le monde où les villes ont le plus grand pouvoir de prélèvement. Ces nouveaux pouvoirs-là peuvent être utilisés pour financer la mobilité durable, les eaux, la réduction des déchets, etc. »

Ce pouvoir est issu d’un changement législatif de 2017 qui permet aux municipalités de prélever directement des revenus autres que l’impôt foncier auprès de ses citoyens. Que ce soit par taxes sur l’immatriculation pour financer le transport en commun ou une taxe sur les immeubles vacants pour soutenir la densification, les initiatives se multiplient.

Les villes qui en ont fait usage, ce sont surtout les municipalités de moyenne envergure, relève Fanny Tremblay-Racicot. Les mesures ciblées sont trop complexes à appliquer aux grosses villes, tandis que les petits villages manquent souvent de ressources pour aller de l’avant. « Avec les pionnières comme Victoriaville, ça permet à d’autres d’emboîter le pas. Ça pourrait faire des petits ailleurs aux Québec. »

La Ville de Nicolet, dans le Centre-du-Québec, est notamment en train de plancher sur une mesure similaire.

Le succès de cette nouvelle approche fiscale attire la curiosité au-delà des frontières du Québec. Un institut de recherches canadien a approché la professeure Tremblay-Racicot afin de permettre à d’autres provinces de s’inspirer de ces mesures d’écofiscalité.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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