«Le vent a commencé à tourner» pour Bruno Marchand

Le maire de Québec, Bruno Marchand, en entrevue avec «Le Devoir», à l’hôtel de ville, vendredi
Photo: Francis Vachon Le Devoir Le maire de Québec, Bruno Marchand, en entrevue avec «Le Devoir», à l’hôtel de ville, vendredi

Plusieurs fois à Québec, chroniqueurs et analystes ont présagé la mort politique de Bruno Marchand. Jusqu’à maintenant, le maire de la capitale a toujours trouvé une manière de déjouer les pronostics. À l’approche de la bataille électorale de novembre prochain, Bruno Marchand, que beaucoup destinaient à un seul mandat il y a un an, se sent mieux armé que jamais pour partir à la conquête de son deuxième.

L’année commençait pourtant bien mal, avec un tramway sur le respirateur artificiel et une pertinence politique à reconstruire. Elle se termine avec un projet de tramway en résurrection et une ambition renouvelée : rien de moins que bâtir une ville capable de soulager le système de santé en déliquescence du Québec.

« Ça va très bien. Ça va vraiment très bien », lance d’emblée l’élu en entrevue avec Le Devoir. La providence n’a pas attendu le 25 décembre pour se montrer généreuse à l’endroit du maire de Québec.

En 2024, la capitale a dépassé sa cible en matière de logements sociaux et abordables. Le « déballage » de rues apaisées paraît avoir calmé la grogne qu’elles avaient d’abord suscitée. Ce mois-ci, une analyse chiffrée a montré que la piste cyclable du chemin Sainte-Foy, controversée et susceptible d’entraîner une hécatombe commerciale selon ses détracteurs, a au contraire favorisé l’achalandage et les ventes.

« C’était ma mort politique, se souvient le maire. Ç’allait être le chaos, les gens n’allaient plus tourner à gauche, il faudrait partir le vendredi pour arriver au travail le lundi parce qu’on n’y arriverait plus. Là, tu te rends compte que non : la piste cyclable est surutilisée. Il y a moins de bruits. Les piétons ont augmenté de 41 %. Ça marche. Ça fonctionne. »

Un tramway ressuscité

Lundi, il s’assoyait aux côtés de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, et du p.-d.g. de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, pour présenter l’entente qui donne un feu vert écrit noir sur blanc à un tramway devenu, au fil des revirements, une chimère, voire une risée.

La scène de cette conférence de presse relevait presque du miracle. Il y a à peine un an, le maire baptisé « Capitaine Tramway » perdait la gouverne du dossier, et même son entourage proche croyait le projet mort et enterré. Encore une fois, les gens vendaient sa peau au rabais — comme avec l’adoption de la taxe sur l’immatriculation. Treize mois plus tard, voilà que Bruno Marchand, l’air détendu et le sourire aux lèvres, a plus que jamais confiance en l’avenir, et de sa ville et de son étoile politique.

« Le vent a commencé à tourner », observe le maire de Québec — et visiblement, à ses yeux, il souffle désormais en sa faveur. Le tramway qu’il défend depuis le premier jour paraissait de plus en plus lourd à porter. Il représente désormais, à son avis, un de ses meilleurs arguments de vente électorale.

« Nous parlons, en ces temps d’incertitude économique, d’une arrivée de 12 milliards de dollars en capitaux privés et publics dans une ville, calcule le maire. C’est la meilleure affaire qui puisse nous arriver : c’est plus que La Romaine ! » Difficile pour la compétition, explique-t-il, de faire campagne contre un pactole pareil.

Photo: Francis Vachon Le Devoir « Avoir les yeux sur le long terme, c’est avoir la capacité de dire que ce qui doit changer pour améliorer le futur, c’est maintenant qu’il faut le corriger », fait valoir Bruno Marchand.

« Cette fois-ci, c’est la bonne »

Bien sûr, le scepticisme demeure grand à l’endroit d’un tramway évoqué presque quotidiennement dans la presse locale, mais qui s’entête à revenir à la case départ.

Si la ministre des Transports éprouve le moindre enthousiasme à l’égard du tramway, elle persiste à le manifester en toute discrétion. Geneviève Guilbault, pourtant habituée à exposer ses moindres faits d’armes sur les réseaux sociaux, a préféré demeurer muette sur l’annonce de lundi : sa publication du jour la montrait plutôt dans la remorque d’une camionnette chargée de denrées récoltées pendant la « guignolée de la députée », sans piper mot de l’entente annoncée en matinée qui confiait pourtant le plus grand chantier de l’histoire de la capitale nationale à CDPQ Infra.

Pour Bruno Marchand, peu lui importe si le tramway paraît loin de se nommer Désir pour la responsable des Transports au Québec ou si le chef de l’opposition à Ottawa, Pierre Poilievre, s’approche chaque jour un peu plus du pouvoir avec la ferme intention de ne pas sortir « une cenne » des coffres fédéraux pour le réaliser.

Le maire a la conviction que « cette fois-ci, c’est la bonne ».

« J’ai confiance parce que la Caisse n’est pas à la remorque du politique. Je ne le dis pas contre le gouvernement, mais il faut dépolitiser ces dossiers-là. »

À ses yeux, les politiques ont la tentation constante d’attendre qu’un problème éclate avant de le prendre à bras-le-corps. « Une majorité de gens font alors : ‘‘Il faut faire de quoi, sauvez-nous’’, et le politicien se trouve légitimé dans son action. C’est, au fond, beaucoup plus facile de convaincre quelqu’un de changer de régime une fois qu’il a fait une crise cardiaque, illustre le maire. C’est plus difficile de le persuader avant que ses problèmes surviennent. »

La ville pour sauver le système de santé

Il croit que son action, à Québec, s’inscrit dans cette vision. « Avoir les yeux sur le long terme, c’est avoir la capacité de dire que ce qui doit changer pour améliorer le futur, c’est maintenant qu’il faut le corriger. Ce n’est pas le choix le plus facile parce que nous ne répondons pas à une urgence, mais nous changeons la vie des gens. »

Bruno Marchand a la certitude que sa vision de la ville permettra de réaliser ce qui semble impossible : alléger un système de santé ployé sous son propre poids.

« Quand nous déneigeons un trottoir, ça permet à des aînés de sortir, de briser leur isolement. Quand nous faisons des artères commerciales vivantes et de proximité, ça incite les gens à marcher et à connaître leurs voisins. Quand nous faisons une piste cyclable, ça pousse des gens à privilégier le vélo plutôt que l’auto et ça les conditionne à se mettre en forme. »

« Les villes ont le pouvoir de sauver l’enjeu de la santé au Québec, croit le maire, en faisant tout ce travail de prévention et d’adaptation du territoire pour que s’arrête l’entrée de gens malades dans un pipeline qui pompe des milliards et qui n’arrive plus à soigner tout le monde. Sur les 30 ans d’espérance de vie gagnés entre 1900 et 2000 en Occident, 8 sont attribuables au système de santé. Les autres relèvent uniquement de l’environnement et des conditions de vie. »

Le maire a-t-il la motivation de relever ce défi dans un second mandat ? Une envolée de plusieurs minutes sur les bienfaits insoupçonnés des saillies de trottoir indique clairement que oui.

L’élection dans la mire, Bruno Marchand affiche la confiance de quelqu’un qui dispose maintenant d’un arsenal plus étoffé pour la gagner. Il bataillait à grand renfort d’arguments depuis trois ans. Voilà que la fin de 2024 lui a apporté un cadeau que plusieurs ne soupçonnaient pas : des résultats.

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