S’unir pour l’art
Un événement sans précédent avait lieu la semaine dernière, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) faisant le trait d’union entre le milieu des affaires et celui de la création. Le Forum sur les arts vivants et la culture, le plus couru de l’histoire de la CCMM avec plus de 800 participants, ne s’est pas passé comme prévu.
Le forum a fait couler beaucoup d’encre pour les mauvaises raisons. Il a été abondamment question de l’accrochage entre le président de la Chambre, Michel Leblanc, et le metteur en scène en colère Dominic Champagne. M. Leblanc a même été hué pour avoir demandé sèchement à M. Champagne de mettre un terme à un discours qui s’éternisait. Bon prince, le président de la CCMM s’est excusé par la suite et il a même diffusé à l’ensemble du réseau de la chambre le discours inspiré du metteur en scène.
Au-delà du malaise, la scène illustrait le fossé qui sépare encore le milieu des affaires et celui de la création, et c’est bien dommage. Le premier parle d’offre et de demande, de PIB et de retombées économiques. Le second parle de souffrance, de survivance, d’inquiétude sur l’avenir de la création. S’il n’y avait pas l’intermédiaire que représentent les producteurs et les diffuseurs pour faire la médiation culturelle entre gens d’affaires et gens de création, les deux clans ne s’endureraient pas sur une même scène au-delà du premier acte.
Le milieu culturel et celui des arts vivants en particulier sont traversés par de vives inquiétudes. Malgré une augmentation de 25 % des budgets dévolus à la culture dans les dernières années, le salaire moyen des artistes fait du surplace depuis trois bonnes décennies. Il ne dépasse pas les 21 000 $ ; c’est moins que le salaire minimum. C’est cette colère que le metteur en scène Dominic Champagne a voulu nommer dans son discours.
Puisque le gouvernement Legault refuse de tenir des états généraux sur la culture, préférant les discussions sectorielles sur la réforme des programmes ou la redistribution des enveloppes de subvention, le milieu des arts aurait intérêt à prendre du recul et à reconnaître qu’il a des alliés avec qui travailler dans le secteur des affaires.
Comprend-il que l’initiative de la CCMM, soutenue par Tourisme Montréal, est le plus proche parent d’états généraux sur la culture, sur lequel ils peuvent s’appuyer dans un avenir immédiat ? Les artistes lèvent parfois les yeux au ciel lorsqu’il est question d’envisager la culture à partir de ses répercussions économiques. C’est pourtant une approche féconde, dont Simon Brault fut l’un des premiers tenants lorsqu’il dirigeait Culture Montréal. Ce changement de discours a permis d’attirer l’attention des bailleurs de fonds publics et des mécènes sur l’apport de la culture dans la définition de l’identité contemporaine de Montréal.
Le concept de Montréal, métropole culturelle englobe autant la vitalité et l’originalité des créateurs que leur influence sur l’économie. Ce n’est pas un sacrilège de faire la synthèse du créatif et du lucratif. Au contraire, c’est s’assurer que lforuma cause des arts et des artistes sera comprise et soutenue en dehors du cercle des initiés. L’industrie culturelle représente 6 % du PIB de Montréal (9,2 milliards) et elle emploie 8 % de la main-d’oeuvre de la métropole. Parler ouvertement du poids de la culture dans l’économie montréalaise revient en quelque sorte à additionner les appuis plutôt qu’à les soustraire.
À ce chapitre, les entreprises peuvent faire mieux. Michel Leblanc leur a même lancé un défi pour qu’elles augmentent leurs dons et leurs commandites, car elles n’ont pas suivi le pas de l’inflation dans les dernières années. Il propose même une idée audacieuse, soit d’ajouter le « C » pour culture à la liste des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), qui dicte aujourd’hui la bonne marche des entreprises. Les entreprises doivent réfléchir à leur rôle pour soutenir la culture, comme le suggère le p.-d.g. de la CCMM.
Dans le même ordre d’idées, le milieu de la culture aurait tort d’éluder la réflexion sur la recherche de nouveaux modèles de financement. Les pressions adverses — ressac postpandémique, inflation, concurrence des géants du Web et transformation des habitudes de consommation, en particulier chez les jeunes — ne disparaîtront pas par enchantement. L’État n’aura pas les solutions à toutes les crises de financement ni aux menaces existentielles qui pèsent sur la création.
Le désengagement des jeunes face à la culture québécoise de même que l’excédent de l’offre sur la demande sont deux sujets de préoccupation du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe. Il s’agit de questions complexes auxquelles aucun acteur, pris isolément, n’a la réponse. C’est pourquoi il faut espérer qu’il y aura des lendemains heureux pour le Forum sur les arts vivants et la culture. L’action concertée entre les affaires, la culture et le politique sera nécessaire pour casser le climat de morosité et bâtir l’avenir sur des fondations pérennes.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.