Trump contre un impôt minimum des multinationales

Donald Trump a signalé lundi son intention de riposter à tout pays étranger qui s’aviserait d’imposer aux multinationales américaines un impôt minimum mondial ou une taxe sur les services numériques.
L’annonce se trouvait dans la multitude de décrets que le nouveau président américain a signés lundi dans les heures qui ont suivi son intronisation. Une cérémonie d’investiture où les dirigeants de certaines des plus grandes entreprises numériques du pays se trouvaient à seulement quelques mètres de lui.
L’un des décrets vise précisément à faire savoir aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) que, contrairement à ce qu’avait indiqué son prédécesseur à la Maison-Blanche, son pays n’entendait plus collaborer à la mise en place de nouvelles règles internationales visant à réduire l’évitement fiscal des grandes fortunes et des multinationales. Le décret sur une politique commerciale « de l’Amérique d’abord » comprend aussi un passage où l’on promet de faire enquête sur tout pays étranger qui se risquerait à prélever des impôts « discriminatoires ou extraterritoriaux » sur des citoyens ou des entreprises américaines.
Ces annonces ne sont pas surprenantes et ne changent pas grand-chose, a expliqué en entretien au Devoir Lyne Latulippe, professeure et chercheuse principale à la Chaire de recherche en fiscalité et en politiques publiques de l’Université de Sherbrooke. Donald Trump a toujours été contre ces nouvelles règles internationales, alors que l’esprit de coopération de Joe Biden n’est jamais allé jusqu’à leur adoption et leur mise en place aux États-Unis.
Tout ce que cela indique pour le moment, dit l’experte, c’est peut-être que Donald Trump craint qu’avec les nouvelles baisses d’impôt qu’il promet aux entreprises américaines, leur taux effectif passe sous le seuil minimal de 15 % prescrit par l’OCDE, ce qui ouvrirait la porte aux pays participants qui voudraient prélever la différence.
Cela laisse croire aussi que la réaction de Washington pourrait bientôt se faire beaucoup plus féroce contre la vingtaine de pays, dont le Canada, la France, le Royaume-Uni ou l’Inde, qui appliquent une taxe sur les géants du numérique indépendamment de leur présence physique ou pas sur leur territoire. Officiellement appliquée au Canada depuis cette année, sa taxe sur les services numériques pourrait rapporter au gouvernement fédéral des revenus de 7,2 milliards sur cinq ans.
Décollage difficile
Le système développé à l’OCDE repose sur deux « piliers ». Le pilier 1 s’appliquerait aux très grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 20 milliards d’euros par année. Il donnerait droit aux gouvernements de taxer leurs profits mondiaux en proportion de leurs ventes dans le pays, même si les compagnies n’y ont pas d’usines ou d’employés. Comme ce volet du projet a du mal à décoller, plusieurs pays ont opté pour une taxe sur les profits des géants du numérique en attendant.
Le pilier 2 fixe à 15 % le taux d’impôt minimum sur les profits des multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros. L’un des avantages de ce système est qu’il incite les 137 pays participants à respecter au moins ce minimum avec leurs entreprises nationales sans quoi les autres gouvernements qui auraient des filiales sur leurs territoires auraient le droit de prélever la différence.
Le retrait des États-Unis de l’accord de l’OCDE « met probablement en péril la mise en œuvre de l’impôt minimum mondial », estime Edgar Lopez-Asselin, coordonnateur du collectif québécois Échec aux paradis fiscaux. « En revanche, personne ne se leurrerait quant aux obstacles qu’il reste à surmonter en vue d’une coopération internationale accrue. »
Quant aux baisses d’impôt promises aux entreprises par Donald Trump, elles menacent d’accentuer la concurrence fiscale entre les pays et de nourrir une course au moins-disant, dit-il.
Le Canada et les baisses d’impôt de Trump
De ce côté, plusieurs observateurs craignent que les prochaines baisses d’impôt sur les profits des entreprises du président américain obligent le Canada à faire de même, sans quoi il risque de voir les entreprises déménager au sud de la frontière.
Lyne Latulippe n’en est pas sûre. « Il y a tellement d’autres facteurs en cause, comme les crédits d’impôt. Et tout dépend du type d’entreprises et d’investissements que l’on cherche à attirer. »
Elle en veut pour exemple le taux effectif d’impôt qui s’applique aux nouveaux investissements, qui, une fois tout compté, est actuellement d’un peu moins de 20 % (19,7 %) aux États-Unis et de seulement 14,5 % au Canada.