Trump bouscule la politique de défense du Canada

Les gens regardent les dignitaires arriver à la cérémonie du jour du Souvenir au Monument commémoratif de guerre du Canada à Ottawa, le lundi 11 novembre 2024.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Les gens regardent les dignitaires arriver à la cérémonie du jour du Souvenir au Monument commémoratif de guerre du Canada à Ottawa, le lundi 11 novembre 2024.

En novembre dernier, le ministre de la Défense nationale, Bill Blair, affirmait en entrevue au Devoir que l’échéance de 2032 était une « estimation honnête » du temps qui serait nécessaire pour atteindre le seuil de 2 % du PIB en dépenses militaires, afin de répondre à la cible des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Depuis, Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche… et la donne semble avoir complètement changé.

La semaine dernière, lors d’une mêlée de presse à Ottawa, Bill Blair s’est dit « de plus en plus confiant » quant à la possibilité d’accélérer les dépenses. Il a même affirmé, pour la première fois, qu’il serait « tout à fait réalisable » d’atteindre le seuil de 2 % d’ici 2027 — soit cinq ans plus tôt que prévu.

« C’est clair que, dans le contexte du retour de Trump, on veut atteindre la cible avant 2032 », confie une source gouvernementale proche des discussions.

Le contexte politique actuel, marqué par la décision de Justin Trudeau de céder son poste à la personne choisie par les libéraux le 9 mars prochain, rend un changement de politique peu probable à très court terme, explique une deuxième source gouvernementale. Mais le prochain gouvernement devra vraisemblablement se pencher rapidement sur cette question, ne serait-ce que pour répondre aux récriminations du président américain à ce sujet.

Un grief depuis longtemps

Les dépenses militaires sont un irritant de longue date pour Donald Trump. À la suite d’une rencontre avec le premier ministre Trudeau en 2019, le président avait qualifié le Canada de « légèrement délinquant » et avait lancé, à la blague, qu’il faudrait le mettre sur « un plan de recouvrement ».

Le Canada fait effectivement partie des rares pays n’ayant pas atteint la cible établie par les pays membres de l’OTAN. En avril 2024, la nouvelle politique de défense fédérale a fixé un objectif de dépenses de 1,76 % du PIB d’ici 2030. Le premier ministre Justin Trudeau a ensuite promis en juillet d’atteindre 2 % d’ici 2032.

Le 7 janvier dernier, Donald Trump a de nouveau fustigé le Canada, affirmant que les Canadiens disposent « d’une petite armée » et dépendent de l’armée américaine pour leur défense. « J’aime les Canadiens, ce sont de bonnes personnes, mais nous dépensons des centaines de milliards pour les défendre », a-t-il lancé lors d’un point de presse à Mar-a-Lago.

Les dépenses militaires sont certainement vues comme un outil de pression pour Donald Trump, estime Alistair Edgar, professeur spécialisé en questions de politiques étrangères et de sécurité à l’Université Wilfrid Laurier et à l’École de politique internationale Balsillie, à Waterloo. La récente déclaration du président, selon laquelle les pays de l’OTAN devraient désormais consacrer 5 % de leur PIB à la défense, en est un bon exemple.

« C’est comme un jeu pour lui. Mettre de la pression pour atteindre le 2 % fonctionnait dans la mesure où c’était établi par l’OTAN. Maintenant, il parle de 5 %, alors que lui-même ne l’atteindra pas. C’est un chiffre absurde ! » dit Alistair Edgar en entrevue au Devoir. Les États-Unis consacrent actuellement 3,38 % de leur PIB aux dépenses militaires.

Un levier de négociation ?

Bien que la politique de défense reste la même sur papier, le gouvernement canadien n’exclut pas la possibilité que l’augmentation des dépenses militaires devienne un levier de négociation avec le nouveau président pour éviter les tarifs douaniers.

« Si s’approcher du 2 % permet de lui faire considérer l’idée de retirer ou de réduire les tarifs, on ne va pas sous-estimer ce pouvoir », indique l’une de nos sources.

Alistair Edgar se dit toutefois moins convaincu que l’atteinte du 2 % plus rapidement puisse amadouer le président.

« Je ne pense pas que cela fasse une différence pour lui. Il va dire qu’on aurait déjà dû atteindre les 2 % de toute façon. Et maintenant, il veut parler des déficits commerciaux gonflés à l’extrême avec le Canada. Je pense qu’il y a des conversations distinctes dans sa tête », explique-t-il.

Bien que les dépenses militaires ne soient pas exclues comme outil de négociation, le gouvernement se concentre d’abord sur les préoccupations du président concernant la sécurité à la frontière pour éviter les tarifs de 25 % que menace d’imposer Trump.

Un enjeu électoral ?

Pour le professeur Alistair Edgar, l’augmentation des dépenses militaires du Canada est essentielle non seulement pour se présenter comme un allié crédible, mais aussi pour envoyer un signal de force à nos adversaires.

« Il y a un signal politique à envoyer aux pays comme la Russie et la Chine. S’ils ne voient pas que nous pouvons nous occuper de notre Arctique, que nous pouvons surveiller nos intérêts, ils le feront eux-mêmes. Et s’ils voient un vide, ils verront cela comme une opportunité », explique-t-il.

Le chef conservateur Pierre Poilievre, en tête dans les sondages, ne s’est toujours pas engagé à atteindre la cible de 2 % s’il devient premier ministre. L’été dernier, il a déclaré qu’il ne pouvait faire une telle promesse en raison de la situation financière du Canada, « en ruine ».

Interpellé cette semaine, le Parti conservateur a évité de répondre à la question du Devoir concernant son engagement à atteindre la cible. « Les conservateurs soutiennent l’OTAN et croient que le Canada devrait redevenir un partenaire solide », a répondu le député conservateur Pierre Paul-Hus dans une déclaration écrite.

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

Les principaux candidats à la direction du Parti libéral du Canada (PLC), l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, et l’ex-ministre des Finances, Chrystia Freeland, n’ont pas encore précisé leur position sur la politique de défense du Canada. Lorsqu’elle était au cabinet, l’ancienne ministre a souvent défendu les dépenses militaires de son gouvernement, affirmant que le Canada contribuait « de manière importante » à sa défense et à celle de ses alliés.

C’est ainsi que, dans le contexte géopolitique actuel, et avec le retour de Trump, les dépenses militaires pourraient devenir un véritable enjeu électoral cette année, tant dans la course à la direction du PLC que lors des élections générales.

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