Trois diffuseurs majeurs de danse contemporaine forcés de réduire leur programmation

Les danseurs du chorégraphe Sylvain Émard lors d’une répétition du spectacle «Les champs magnétiques», présenté à la Cinquième Salle de la Place des Arts, en janvier 2025
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les danseurs du chorégraphe Sylvain Émard lors d’une répétition du spectacle «Les champs magnétiques», présenté à la Cinquième Salle de la Place des Arts, en janvier 2025

Des diffuseurs majeurs de danse contemporaine se disent forcés d’amputer jusqu’à 40 % leur programmation pour la saison 2025-2026. En raison de contraintes budgétaires, Danse Danse et l’Agora de la danse, qui présentent habituellement 16 ou 17 productions différentes chaque année, devront chacun se contenter d’en offrir une dizaine. À Québec, La Rotonde a pris la décision déchirante de retrancher 3 ou 4 spectacles, par rapport à une programmation qui était de 12 cette année.

C’est avec beaucoup de tristesse que Francine Bernier, directrice artistique et codirectrice générale de l’Agora de la danse, a dû prendre cette décision avec son équipe. Ils ont aussi annulé avec grand regret leur programme de résidence nommé Une première fois, par lequel jusqu’à cinq artistes, souvent de la relève, recevaient 5000 $ pour se consacrer à une période de création dans leur salle de répétition.

« J’évalue que c’est environ 100 artistes qui seront coupés par rapport à ce qu’on faisait et ce qu’on ne fera plus », se désole Mme Bernier.

Pierre Des Marais, directeur artistique et général de Danse Danse, a dû faire ce choix alors que son organisme a essuyé pour la première fois un déficit représentant environ 20 % de ses revenus. Tout comme à l’Agora de la danse, la prochaine programmation commencera à être annoncée au printemps.

« Beaucoup de jeunes créateurs ne rencontreront pas leur public. Ça va faire mal à l’écologie de la danse », a-t-il commenté, inquiet.

Pourtant, les salles sont pleines, assurent Mme Bernier et M. Des Marais. « Cet automne, on a eu 96 % de taux d’occupation. Sur 27 représentations, 21 étaient complètes, affirme Mme Bernier. Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas de public et que la danse ne fonctionne pas. »

« Cette semaine, on présente Sylvain Émard Danse. Je fais sept représentations, c’est complet et j’ai tout de même un manque à gagner de 35 000 à 38 000 $ », rapporte M. Des Marais.

Le problème, disent-ils, est que le financement public et le prix des billets n’ont pas suivi la hausse importante des coûts de production.

« Si nos subventions du Conseil des arts et des lettres du Québec [CALQ] et du ministère de la Culture et des Communications avaient été simplement indexées à l’inflation depuis 2017, on aurait 282 000 $ de plus dans nos caisses. Ça ferait en sorte qu’on ne couperait pas », assure Mme Bernier.

« En 2012-2013, je recevais 350 000 $ du CALQ. En 2017-2018, ils m’ont donné 39 000 $ de plus. Depuis, je suis à 389 000 $ et j’aurais besoin du double de ça pour programmer », décortique M. Des Marais.

Les deux dirigeants jugent qu’ils ne pourraient pas augmenter davantage le prix de leurs billets sans mettre en péril leur accessibilité et sans perdre du public.

La relève écopera

Comme les petites salles permettent de vendre moins de billets que les grosses salles, elles sont moins rentables. Danse Danse délaissera donc largement la Cinquième Salle de la Place des Arts, qui compte environ 300 places, au profit du théâtre Maisonneuve, qui en a presque cinq fois plus. La programmation sera donc moins aventureuse et fera moins de place à la relève.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L'entrée de la Cinquième Salle à la Place des Arts

Marie-Hélène Julien, directrice de La Rotonde — seul diffuseur spécialisé en danse à Québec —, constate aussi que son budget de fonctionnement provenant du CALQ est au point mort depuis 2017. Elle s’attend à un déficit important cette année. La diminution de sa programmation de 25 % à 30 %, l’an prochain, est selon elle « une grosse claque ». L’impact pourrait dépasser le territoire de la capitale, puisque La Rotonde agit comme « un carrefour des tournées » vers l’est du Québec.

« Pour une saison qui n’a déjà pas tant de spectacles, quand tu en enlèves trois ou quatre, c’est un grand trou. C’est une grande menace pour les artistes qui n’auront pas de travail ou qui n’auront peut-être pas la chance de tourner en région, ainsi que pour notre public qui trouvera peut-être qu’il n’y a pas assez d’offres diversifiées et qui risque de se désengager », a-t-elle indiqué.

Tout comme ses collègues des autres diffuseurs et comme les membres du Front commun pour les arts du Québec, elle réclame une augmentation du budget du CALQ.

« [Avec le ministère] il faut se parler, s’asseoir et discuter, actualiser notre regard sur l’ensemble du fonctionnement, juge quant à elle Francine Bernier. Mais il ne faut jamais oublier qu’il nous faut de l’argent. »

Ces nouvelles ont été qualifiées de « terribles » par le Regroupement québécois de la danse. « D’une part parce que la stagnation de l’offre en danse depuis 20 ans est sans équivoque, s’agissant d’une croissance d’à peine 2 %, mais d’autre part parce qu’elle entraîne l’invisibilité d’une discipline qui est pourtant considérée comme majeure. La danse passera sous un seuil dangereux d’exposition, si elle n’y est pas déjà », a réagi la directrice générale, Parise Mongrain, dénonçant le plafonnement des subventions depuis plusieurs années.

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