Trame historique au Musée des beaux-arts du Canada

L’idée est dans l’air depuis bien des années. Mais elle n’a malheureusement pas eu de résonance vraiment concrète, ni dans la grande majorité des livres d’histoire de l’art ni dans la manière de présenter les collections de la plupart des musées d’art en Occident. Les liens entre les arts textiles et l’art abstrait ne sont pourtant plus à être démontrés. Et même si de nombreux historiens de l’art en ont débattu dans leur cours ou leurs écrits, la reconnaissance plus officielle par le discours dominant de ces entrelacements n’est chose totalement faite. Cela est d’autant plus troublant que cette exposition au Musée des beaux-arts du Canada, intitulée Histoires entrelacées. Textiles et abstraction moderne, n’est pas la première à se pencher sur le sujet…
Car il y eut déjà Wall Hangings, au MoMA à New York, en 1969, exposition élaborée par Mildred Constantine — conservatrice du design graphique dans la section d’architecture et de design au MoMA — et par Jack Lenor Larsen — designer textile —, qui se consacrait au travail des « tisserands d’art contemporain ». La présentation à l’affiche ces jours-ci à Ottawa lui doit d’ailleurs beaucoup, ne serait-ce que par la présence de sept artistes reprises de cet événement marquant réalisé il y a maintenant 55 ans ! On y retrouve Sheila Hicks, Gunta Stölzl, Kay Sekimachi, Olga de Amaral, Ed Rossbach, Lenore Tawney et Anni Albers. Cette exposition de 1969 incluait aussi Mariette Rousseau-Vermette (1926-2006), artiste québécoise présente par une seule œuvre à Ottawa, Le brasier (1963), œuvre que l’on ne retrouve pas dans le catalogue, car elle est exposée à part dans la collection permanente…

Donc, voici à nouveau une exposition d’envergure, encore plus d’envergure que celle élaborée dans les années 1960, avec « 130 œuvres de plus de 45 créatrices et créateurs », tentant de remettre en question le discours dominant sur la place des arts textiles dans le récit de l’histoire de l’art moderne. Un sujet qui est d’une grande importance, car il remet en question la distinction traditionnelle opérée entre l’art et l’artisanat. Un sujet qui conteste la discrimination faite entre, d’une part, un grand art abstrait innovateur, aboutissement d’une évolution historique, art abstrait qui aurait été avant tout créé par des hommes, et, d’autre part, un art ornemental inférieur qui aurait simplement répété des motifs et des traditions, un art majoritairement fait par des femmes. D’ailleurs, ces œuvres textiles, dans de nombreux musées, sont souvent placées, encore de nos jours, dans la section des arts décoratifs.
Pourtant, la ligne de démarcation n’est pas si simple. Comment, par exemple, parler de Robert Rauschenberg et de son fameux Bed (1955), une de ses œuvres les plus célébrées, sans voir l’évidence, la place que les arts textiles, dont celui de la courtepointe, ont eue dans sa réflexion… Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Nous aurions d’ailleurs aimé que cette expo comporte une section établissant visuellement les liens entre cet art abstrait célébré, classé, et les arts textiles. N’aurait-on pas pu confronter des œuvres d’Anni Albers à d’autres créations du Bauhaus, école d’art pour qui il n’existait pas de différence entre artiste et artisan ?
On y retrouve des œuvres exceptionnelles de Marisa Merz, Rosemarie Trockel, Agnes Martin, François Rouan, Gego… Espérons que cette exposition importante, élaborée par Lynne Cooke, conservatrice principale au de la section d’art moderne et contemporain de la National Gallery of Art à Washington, ait un certain impact sur la manière de classer et d’exposer l’art moderne…

Feuille à feuille. La collection de dessins dévoilée
Le Musée des beaux-arts du Canada célèbre aussi ces jours-ci sa collection de dessins, un type de création longtemps dévalorisé par rapport à la peinture. La collection de la section de dessins et estampes du MBAC, fondée en 1921, recèle des œuvres remarquables, rarement présentées au public, réalisées par Francisco Goya, Théodore Géricault, Edgar Degas, Edvard Munch, Leonora Carrington, Bridget Riley, Margaret Macdonald, Evelyn De Morgan…
Voici une expo qui inclut des œuvres faites par de nombreuses femmes artistes. Comme quoi il serait faux de croire qu’il n’y a eu que si peu d’artistes femmes en Occident, plusieurs créatrices purent émerger, car elles étaient issues de famille d’artistes, éduquées dans l’atelier familial… Il serait donc plus juste de dire qu’il y eut de nombreuses femmes artistes célébrées de leur vivant qui furent par la suite oubliées, leurs œuvres attribuées à des hommes, à leur père, à leur frère, à leurs anciens collègues d’atelier et même à leurs compétiteurs…
Une occasion de voir aussi deux œuvres de Robert Seldon Duncanson (1821-1872), né de père écossais et de mère afro-américaine, peintre dans le style de l’école de l’Hudson, artiste noir venant des États-Unis et qui vécut quelques années au Canada avant de poursuivre sa carrière en Europe.
Feuille à feuille. La collection de dessins dévoilée, par les commissaires Sonia Del Re et Kirsten Appleyard, jusqu’au 13 avril.