«Tout ça»: une vie de femme

Évelyne Rompré joue dans la pièce «Tout ça», mise en scène par Louis-Karl Tremblay, et présentée au Quat’Sous du 22 janvier au 15 février 2025.
Photo: Frédérique Ménard-Aubin Évelyne Rompré joue dans la pièce «Tout ça», mise en scène par Louis-Karl Tremblay, et présentée au Quat’Sous du 22 janvier au 15 février 2025.

Mercredi, juste avant le début du spectacle, alors que s’était tenue en journée une Grande manifestation pour les arts, Catherine Vidal, qui codirige le Quat’Sous avec Xavier Inchauspé, a déclaré ceci : « En cette époque particulièrement faste pour la haine, la violence, le racisme et l’intolérance, devant cet étalage de vulgarité ubuesque, la fatuité de crapauds bien repus et vaniteux, un Meta plus froidement métallique que métaphysique, on aime à penser que tous les objets de l’art vivant, façonnés dans le désir d’entrer en contact avec l’autre, sont autant de fleurs que l’on glisse fermement dans le canon de leurs armes. »

Ce soir-là, la fleur, l’objet de beauté et de subversion, l’outil de révolte et de consolation, c’était Tout ça, un monologue du Britannique Alistair McDowall traduit par Fanny Britt, mis en scène par Louis-Karl Tremblay et interprété par Évelyne Rompré. Le texte, qui appartient à une trilogie, a été créé à Londres en 2020. En une heure, de la naissance à la mort, du premier au dernier souffle, de la tendre enfance à la déroutante vieillesse, des balbutiements aux ultimes paroles, en un flot continu de mots, le solo résume brillamment la vie d’une femme comme les autres, un amoncellement de joies et de peines universelles, dans lesquelles il est impossible de ne pas se reconnaître, de ne pas reconnaître les femmes qui nous entourent.

Photo: Frédérique Ménard-Aubin Évelyne Rompré se saisit de cette partition exigeante avec une assurance époustouflante, faisant valoir les moindres nuances.

Toutes les étapes cruciales de l’existence sont évoquées, avec autant de délicatesse que d’efficacité, autant de sobriété que de vérité. C’est une ode à la vie en même temps qu’un constat concernant sa fragilité, sa défectuosité, son éphémérité. Naissance du désir, de la jalousie et de l’amour. Apprentissage de la solidarité et de la trahison, épanouissement (ou aliénation) dans le couple, le travail, le sexe et la maternité. Les sources de satisfaction, indissociables des deuils, des remords et des regrets. Puis vient l’heure où on ne peut tout simplement plus nier l’imminence de sa propre fin. « Tout le monde meurt », répète en boucle celle qui parle. Par le truchement d’un seul destin, c’est l’essentiel de la condition humaine, et plus précisément de la condition féminine qui semble se cristalliser sous nos yeux.

Intriguant et captivant

Sur une modeste plateforme, au milieu d’un plateau presque nu, devant un rideau orangé, dans le feu d’un seul projecteur et vêtue d’une combinaison en denim qui traverse parfaitement les âges, Évelyne Rompré se saisit de cette partition exigeante avec une assurance époustouflante, faisant valoir les moindres nuances. Dire que la comédienne démontre ici son intelligence du texte tiendrait de l’euphémisme. Pour exprimer tous les âges et les états d’esprit du personnage, pour clarifier chaque intention, chaque émotion, chaque destinataire, on peut toujours compter sur un geste, un regard, une posture qui rend tout limpide. Si l’audace du texte force l’admiration, si la précision dont la comédienne et le metteur en scène font preuve impressionne, c’est en bonne partie grâce aux conceptions de Karine Galarneau (décor et costume), de Robin Kittel-Ouimet (éclairages) et d’Antoine Bédard (musique) que le spectacle intrigue et captive de bout en bout.

On a affaire à un spectacle poignant, le mot n’est pas trop fort, de ceux que l’on reçoit en plein cœur. Pas le choix de procéder à une introspection, pas le choix de remettre en question le sens même de notre passage sur terre. Devant cette vie en accéléré, où un seul corps incarne toutes les périodes clés de l’existence, on pense aux Trois âges de la femme, le bouleversant tableau de Gustav Klimt. Avant de rendre l’âme, le personnage endossé par Évelyne Rompré déclare : « Je pense que j’ai eu une bonne vie, mais c’est dur à dire, je n’ai pas de points de comparaison. J’aurais pu être plus heureuse par bouts, mais c’est sûrement vrai pour tout le monde. Des regrets, j’ai des regrets, c’est correct d’avoir des regrets, j’ai le droit. »

Tout ça

Texte : Alistair McDowall. Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Louis-Karl Tremblay. Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et du Théâtre Point d’Orgue. Au Quat’Sous jusqu’au 15 février.

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