Au tour du quotidien français «Libération» de cesser son activité sur X

Des piles de journaux devant une journaliste travaillant au siège du quotidien français « Libération » à Paris, le 21 mars 2023
Photo: Stéphane de Sakutin Archives Agence France-Presse Des piles de journaux devant une journaliste travaillant au siège du quotidien français « Libération » à Paris, le 21 mars 2023

Le quotidien français Libération a annoncé mardi qu’il arrêtait de partager ses contenus sur le réseau social X afin de rester fidèle à ses « valeurs ». Les propos tenus par le propriétaire de la plateforme, Elon Musk, un proche de Donald Trump, ont de quoi froisser les entreprises médiatiques, expliquent des experts.

C’est sur le réseau X lui-même que Libé a annoncé la nouvelle à ses 3,5 millions d’abonnés, expliquant que la « collaboration avec cette plateforme n’est plus compatible avec les valeurs de notre journal ». Le quotidien invite ses abonnés à consulter son site Web ou à suivre ses publications sur les autres réseaux sociaux où il est présent, comme Bluesky.

Libérationrejoint ainsi Le Monde, qui a annoncé un boycott de la plateforme lundi. Le journal dénonçait « l’intensification de l’activisme » du patron de X, Elon Musk, et « la toxicité croissante des échanges » qu’on retrouve sur le réseau social.

Une kyrielle d’autres médias français (Ouest France, Sud Ouest, Mediapart, La Voix du Nord) ont aussi mis fin à leurs publications sur X. D’autres ont fait de même ailleurs, notamment en Grande-Bretagne, où The Guardian a annoncé en novembre se retirer du réseau qu’il qualifiait de « plateforme médiatique toxique ».

X est soupçonné de répandre de fausses informations et de manipuler le débat public en Europe. Plusieurs institutions, collectivités et personnalités ont annoncé ces dernières semaines leur départ du réseau social ou l’arrêt de leur activité sur leurs comptes.

Militantisme à l’européenne

Pour le moment, le mouvement de boycott ne semble pas se propager à grande échelle de ce côté-ci de l’Atlantique.

« Au Québec, on a trop peur d’être militant si on fait ce genre de geste-là. Ce n’est pas une crainte en France », explique Roland-Yves Carignan, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ici, « les journaux misent beaucoup sur la notion d’objectivité, alors qu’en France, je pense qu’ils acceptent davantage le fait que l’objectivité est quelque chose de relatif ».

Les médias français s’inscrivent dans un « mouvement social » qui s’insurge de la marginalisation des causes sociales et environnementales par les algorithmes de X, selon l’expert. « On assiste à une forme de privatisation de la sphère publique, où ce sont des grandes entreprises […] qui structurent la manière dont l’espace public fonctionne à travers leurs algorithmes. »

L’achat de Twitter par Elon Musk en 2022 a été « très révélateur de la capacité et du pouvoir d’une entreprise privée de structurer et modifier les conditions du débat démocratique et du débat public », soutient M. Carignan. Cette acquisition a « marqué les esprits » chez les gens, qui ont réalisé le pouvoir des grands patrons de médias sociaux, selon lui.

Si les grands médias canadiens poursuivent leur utilisation de X pour le moment, la directrice générale et éditrice par intérim des Publications BLD, Marie Allard, a indiqué dans une lette envoyée au Devoir que les magazines Les Débrouillards et Curium, « attachés à la rigueur en sciences et en information », quittent le réseau X.

Un « problème moral »

Est-ce que quitter X peut nuire aux médias ? « À court terme, on ne sait pas trop, mais on peut voir qu’ils ne font pas seulement que quitter X, mais ils vont plutôt migrer » sur Bluesky ou Mastodon, répond Roland-Yves Carignan.

Ces plateformes « ont la particularité de fonctionner de manière ouverte », ajoute-t-il. « On a tous à gagner de ça, d’avoir des plateformes de diffusion qui ne sont pas captives d’une seule et unique entreprise. »

« Je pense que [de choisir de quitter ou de rester sur la plateforme], ce sont des débats que chaque organisation qui a un compte sur X devrait avoir », estime Mélanie Millette, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM. Elle trouve « important de souligner » que le propriétaire de X, Elon Musk, « porte des propos transphobes, racistes, sexistes — carrément des propos haineux — depuis plusieurs mois maintenant ». Sans compter les accusations d’avoir effectué un « salut nazi » lors d’un discours le jour de l’assermentation de Donald Trump, geste dont il se défend.

Elle dit toutefois comprendre le « problème moral » auquel font face les médias. D’une part, se retirer du réseau les prive d’un public. D’autant que de « quitter en masse les plateformes identifiées à la droite, X en premier lieu, c’est aussi laisser cette plateforme-là pour la désinformation et les idées de droite », rappelle-t-elle. En même temps, si une entreprise décide d’y rester, « on nourrit une bête et on amène de l’argent dans les poches » d’un patron aux propos incendiaires.

« Je ne crois pas qu’il y ait de bonne réponse », conclut-elle.

Avec l’Agence France-Presse

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