Le torchon brûle entre Paris et Alger

Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune au sommet du G7 en Italie, le 14 juin 2024
Photo: Christopher Furlong Associated Press Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune au sommet du G7 en Italie, le 14 juin 2024

Connaissez-vous Imad Tintin, Zazou Youssef, Doualemn, Sofia B., Abdeslam Bazooka, Laksas06 et Onit Razek ? Non, ce ne sont pas des personnages de bandes dessinées ! Sous le titre étrange d’« influenceurs » se cachent des Algériens qui n’ont de cesse de s’en prendre à la France.

Suivi sur TikTok par 70 000 personnes, Imad Tintin a appelé à « brûler », à « tuer » ou à « violer » tous ceux qui s’opposeraient au régime algérien. « Je jure devant Allah, nous allons tous vous violer, en Algérie et en France. Ici, ceux qui savent manier les armes vont vous achever », a-t-il déclaré. Zazou Youssef, de son vrai nom Youssef Aziria, appelait à commettre des attentats en France. Voici les paroles brutales qu’il adressait à ses milliers d’abonnés sur TikTok : « On va vous faire, comme dans les années 1990. On va tirer sur vous. On va vous violer. […] Il faut faire parler la poudre. »

Des propos guère plus délicats que ceux de Doualemn, qui a appelé à la violence contre un opposant algérien. Habituée de formules du genre « nique ta mère toi et ta France », Sofia B. a menacé de mort une femme sur Internet. Abdeslam Bazooka n’est pas en reste puisqu’il a menacé d’« égorger » tous les « traîtres » qui s’opposent au gouvernement algérien. Quant à Laksas06 et à Onit Razek ils se sont contentés de présenter les membres de la diaspora algérienne comme des « soldats » dormants prêts à devenir des « martyrs ».

Des « moudjahidines 2.0 », c’est ainsi que ces influenceurs qui vivent en France, et dont plusieurs ont été mis en examen, ont été qualifiés par l’ancien chroniqueur de RMC Mehdi Ghezzar, congédié pour avoir dénigré le Maroc en ondes. « Alger veut provoquer des troubles en France. On est à un niveau d’hostilité jamais vu », confiait au magazine Le Point le réfugié politique kabyle Chawki Benzehra, qui a signalé plusieurs de ces influenceurs à la police. Il rappelle que l’agence Algérie Presse Service, proche du pouvoir, qualifie dorénavant la France de « macronito-sioniste »

Un virage diplomatique

Les exemples ne manquent pas pour démontrer que la situation a rarement été aussi tendue entre Paris et Alger. Cela va du tollé suscité en Algérie par l’attribution du prix Goncourt au dissident Kamel Daoud à l’arrestation arbitraire de l’écrivain Boualem Sansal par les autorités algériennes au prétexte qu’il serait une menace à la sécurité de l’État. La semaine dernière, Alger a poussé l’humiliation de la France un cran plus haut en refusant de laisser entrer sur son sol un de ses propres citoyens, l’influenceur Doualemn, expulsé par la France pour appel à la violence.

Tout le monde aura compris que la goutte qui a fait déborder le vase (qui était pourtant déjà bien plein) est le choix de la France de prendre parti pour le Maroc dans le conflit qui l’oppose à l’Algérie sur la souveraineté du Sahara occidental. Jusque-là, Paris s’était contenté d’affirmer que le plan marocain constituait « une base de discussion sérieuse et crédible » pour tenter de résoudre le contentieux vieux d’un demi-siècle entre Rabat et les indépendantistes du Front Polisario soutenus par Alger. Comme l’a fait Washington en 2020 (en échange de la normalisation des relations du Maroc avec Israël), la France affirme dorénavant que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Confirmant ce virage diplomatique, en août dernier, le voyage au Maroc du président Emmanuel Macron a pris l’allure d’une grande réconciliation. Les suites semblent montrer que les dirigeants algériens ne bluffaient pas en affirmant qu’ils en tireraient toutes les conséquences.

Les différends entre Paris et Alger ne sont pourtant pas nouveaux. L’ancien président Abdelaziz Bouteflika avait longtemps été favorable à la France. Mais, en 2020, il a viré capot après la guerre civile et la réconciliation des généraux avec les islamistes. La France a alors été accusée de « génocide culturel ». Une façon pour les nouveaux dirigeants de détourner l’attention des millions de jeunes qui avaient dénoncé la corruption lors du printemps algérien et obtenu le départ de Bouteflika.

L’échec de la repentance

Ce n’est pas faute de concessions de la France. En février 2017, Emmanuel Macron n’avait-il pas fait œuvre de repentance en comparant la colonisation française à un « crime contre l’humanité » ? Depuis sa première élection en 2017, il n’a eu de cesse de courtiser les dirigeants algériens. Des gestes qui n’ont jamais eu de contrepartie. Pas plus que le très symbolique baiser accordé le 14 juin 2024 par Emmanuel Macron au dictateur algérien Abdelmadjid Tebboune, ou ces fleurs déposées sur la tombe du leader du Front de libération nationale, Ben M’hidi, responsable de la « Toussaint rouge », au cours de laquelle furent massacrés de nombreux civils français. Rien de tout cela n’a ébranlé la détermination d’Alger, pour qui la démonisation de la France est devenue une véritable rente mémorielle.

« On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant », a récemment admis le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Or, les réseaux du régime algérien en France sont loin d’être insignifiants. Au point où la question algérienne est devenue une question de politique intérieure. Le pays compte, sur trois générations, au moins 2,5 millions de citoyens d’origine algérienne, dont 900 000 immigrés de fraîche date. Selon plusieurs observateurs, sinon tous, Emmanuel Macron a toujours ménagé cette population, comme lorsqu’il a refusé de participer à la grande marche contre l’antisémitisme qui a suivi l’attentat du 7 octobre 2023.

Mais le réseau d’influence d’Alger ne s’arrête pas là. L’Algérie compte en France près d’une vingtaine de consulats qui assurent le suivi de la population algérienne. La Grande Mosquée de Paris est aujourd’hui dirigée par Chems-Eddine Hafiz, un avocat qui avait assigné Charlie Hebdo en justice en 2006. Elle est à la tête de plusieurs centaines de mosquées dont les imans étaient jusqu’à tout récemment des fonctionnaires d’Alger et qui devraient être demain rémunérés à même la douzaine de millions d’euros que lui rapporte le monopole qu’elle détient sur la certification des produits halal. On sait aussi que les services de renseignement algériens sont très actifs en France, notamment pour surveiller l’opposition au régime. Les liens économiques sont forts aussi, même si la France n’achète plus en Algérie qu’environ 8 % de son gaz naturel et 10 % de son pétrole.

« Un État faible et mou »

Pour l’auteur du Choc des décolonisations. De la guerre d’Algérie aux printemps arabes, Pierre Vermeren, la France est aujourd’hui considérée par Alger comme « un État faible et mou ». Les appels pour un changement de politique se font pourtant de plus en plus pressants. Parmi les répliques possibles, un large éventail de représentants politiques, allant de Marine Le Pen à Gabriel Attal, réclame la révocation de l’accord de 1968 qui garantit un statut particulier aux Algériens en matière de séjour et d’emploi. Un accord qui, dit-il, n’a plus lieu d’être 60 ans après la décolonisation et dont la suppression est souhaitée par 74 % des Français, selon un récent sondage.

« Sans aller forcément jusqu’à la rupture des relations avec Alger, sans doute faudra-t-il purger cet abcès et passer par cette crise. Mais il faudra de toute façon procéder, tôt ou tard, à une remise à plat, un reset, un aggiornamento de nos relations avec Alger », écrivait dans le Journal du dimanche l’ancien ambassadeur français à Alger Xavier Driencourt.

D’autres mesures sont aussi sur la table, comme l’imposition d’un visa pour la nomenklatura algérienne qui vient se faire soigner en France ou le gel des avoirs des élites algériennes en France. « Il ne faut rien s’interdire », a déclaré le ministre Bruno Retailleau, avant d’ajouter que « cela ne peut pas dépendre que de [lui], on le sait ». Une autre façon de dire qu’en France, le maître incontesté de la politique étrangère se nomme Emmanuel Macron.

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