Nous sommes toujours au début d’un temps nouveau

Photo: Pierre Trudel, Montage Marin Blanc

Elles se sont déclinées à la radio, après le décès du parolier et compositeur Stéphane Venne. Des chansons surgies de la frénésie des années 1970, qui célébraient à tue-tête « le début d’un temps nouveau », où « le bonheur est la seule vertu ». On l’imagine chantée par Renée Claude au Donald Lautrec Chaud, entourée de danseuses à gogo se trémoussant sur des podiums ou encore à l’émission Jeunesse d’aujourd’hui, de Pierre Lalonde.

J’étais alors une toute petite fille et déjà cette chanson me paraissait excessive d’optimisme, comme un ballon jeté en l’air qui ne pouvait que revenir sur terre plus tard. Je ne suis pas nostalgique et je ne l’ai jamais été. J’avais beau rêver à six ans de pantalons à pattes d’éléphants ou de veste à franges, il m’a toujours semblé que les modes dont on habille les époques sont surfaites, en décalage avec mes expériences personnelles. Ce temps nouveau qu’on nous annonçait ne pouvait être si rose et si lisse, et Les enfants de l’avenir, qui devaient être heureux et « se faire l’amour à l’infini », nous semblent aujourd’hui avoir un futur proche bien compromis.

Bref, Stéphane Venne n’était pas prophète. Ces temps nouveaux de l’après-Révolution tranquille sont devenus des temps moroses. La création d’Israël rêvée avec la venue de l’ONU après la Seconde Guerre s’avère un insoluble fiasco géopolitique. Le plastique, ce matériau « miracle » des années 1960, a transformé la planète en poubelle. Les États-Unis, alors puissance modèle du nouvel ordre mondial, semblent rêver de devenir un État voyou. La légèreté et l’insouciance des années 1970 se sont transformées en anxiété permanente. Les réveils sont brutaux.

Dans ce contexte, la nostalgie lance ses sirènes. « Qui n’avance pas recule », comme disait M. Dupneu, cité par Jacques Brel, dont on est d’ailleurs allés applaudir la reprise du répertoire par Arnaud Askoy. On est allés resourire devant Les belles-sœurs de Tremblay ou devant l’évocation de la Poune. On se gargarise de Bob Dylan devant le film Un parfait inconnu. « Bob qui ? » demande d’ailleurs le jeune d’aujourd’hui.

Les lumières du passé clignotent dans l’obscurité ambiante aussi dans l’arène politique. Donald Trump rêve de redonner à l’Amérique sa grandeur passée, et Poutine de reconquérir les anciennes frontières de l’URSS, se réclamant d’une gloire décatie noyée dans les méandres du temps. À défaut de savoir inventer l’avenir, les forces réactionnaires se recroquevillent sur un passé disparu, tentant de faire entrer de force dans cette coquille vide le reste du monde.

Un jour, en entrevue, l’écrivaine canadienne Margaret Atwood me rappelait que le futur n’existe pas, qu’on ne peut retourner dans le passé, et qu’on voyage donc dans ce mince espace qui s’appelle le présent.

C’est sur cette mince glace du présent qu’il nous faut aujourd’hui tous patiner.

Et pour cette raison, il faut continuer de chanter.

Nietzsche, qui n’était pas particulièrement jovialiste, disait que « sans la musique, la vie serait une erreur ». Cette semaine, je confesse un coup de cœur pour le nouvel album du duo du violoncelliste Stéphane Tétreault et du bandonéoniste Denis Plante, Stradivatango. Ils seront en spectacle dans divers lieux de culture de Montréal.

Et il faut continuer de rêver.

« Avoir l’audace d’être un artisan de la joie, inspiré par le parfum sublime du présent dont on ne sait pourtant s’il ouvrira à autre chose », écrit la philosophe Sophie Galabru, dans son essai Nos dernières fois, sur la nostalgie, à paraître plus tard ce mois-ci.

Nous sommes toujours au début d’un temps nouveau. C’est notre temps, à nous de le rendre habitable.

Alors, Où est l’espoir ? demande Jean Ziegler dans son dernier livre, avant d’énumérer les cataclysmes qui frappent l’humanité. Il persiste et signe, pourtant : « Il est dans la capacité de résistance des humains. »

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