Qui se souvient?
Michel Chartrand avait l’habitude de répéter : « Notre devise, c’est Je me souviens, mais on a tout oublié… » En effet, une fois une personnalité décédée, il est rarement question d’elle dans les médias, trop occupés par le quotidien. Certes, on lui attribue le nom d’une rue, d’un parc, d’un cégep ou d’un lieu public, mais ceux qui le fréquentent cherchent-ils à savoir qui était cette personne ? Il y a quelques années, je faisais une conférence aux étudiants du cégep Lionel-Groulx dans le cadre d’une semaine des sciences sociales. Alors, après les avoir salués, je leur demande qui est Lionel Groulx. Silence de mort. Puis, une jeune fille lève timidement la main et dit : un prêtre ? Ouf, sans commentaire. Combien de jeunes fréquentant le pavillon Judith Jasmin ou Hubert Aquin de l’UQAM savent qui ils étaient ?
Comment bâtir un pays, une nation, une culture en étant ignorants de celles et ceux qui y ont contribué ? Quand avez-vous vu ou entendu dans les médias les noms de Thérèse Casgrain, André Laurendeau, Jacques Ferron, Pierre Vadeboncœur, Michèle Tisseyre, Michel Chartrand, Solange Chalvin, Gérald Godin, Madeleine Parent, pour ne prendre que ces exemples de personnes que j’ai connues et admirées depuis plus de soixante ans ? Chacune a œuvré au quotidien pour rendre notre société plus humaine, plus juste, plus équitable, et cela, sans chercher à en tirer des bénéfices personnels.
Ne serait-il pas temps que, dans chaque école, cégep et faculté universitaire, on se fasse un devoir de faire connaître les personnes qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes pour bâtir le Québec d’aujourd’hui dans ce qu’il a de plus admirable ? Les médias ne devraient-ils pas participer au devoir d’histoire ? Cela arrive parfois, je me souviens d’un admirable article de Jean-François Nadeau sur André Laurendeau à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort. En écrivant, je pensais à ce texte, et j’ai lu avec intérêt les articles que Le Devoir consacrait ces jours-ci à Claude Ryan. Mais ne serait-il pas un devoir de tous les médias d’avoir régulièrement une présentation de ces personnes qui ont construit positivement le Québec et que les jeunes, et même les moins jeunes, ne connaissent pas ou si peu ? Ce ne sont pas les quelques heures du cours d’histoire de l’éducation obligatoire qui peuvent doter la population d’une mémoire collective. Et sans cela, qu’en est-il d’une nation ?
Ne l’oublions pas : Les morts ne sont vraiment morts que lorsque les vivants les ont oubliés.
Une version précédente de ce texte a été modifiée. L’article de Jean-François Nadeau sur André Laurendeau auquel il est fait référence portait bel et bien sur le 50e anniversaire de la mort de ce dernier.