«Soleil rouge»: mère d’incendie

Dès les premières pages de Soleil rouge, le lecteur se trouve immobilisé dans une moiteur oppressante où la chaleur et la sueur pèsent sur chaque instant. Johanne Lykke Holm (Strega, finaliste au Grand Prix de littérature du Conseil nordique en 2021) compose ici un roman sensoriel où les perceptions sont exacerbées : l’asphalte semble se liquéfier sous les pas, l’air est saturé d’une tension latente, et le fleuve, omniprésent, mais insaisissable, hante la ville telle une menace diffuse.
« Ce fleuve, qui a donné son nom à la ville et aux montagnes environnantes, même s’il n’est jamais réellement visible où que l’on se trouve, se contente de se faire connaître par son odeur douceâtre et par les tempêtes qui, de temps en temps, s’y rassemblent pour ensuite s’abattre sur la ville, en un vent violent et sale balayant les rues comme un gang de jeunes impatients et sanguinaires, sortant les habitants de leur sommeil engourdi. »
On suit India et Kallas, un couple englué dans un quotidien languide, fait de courses au marché, de cigarettes fumées à la fenêtre et de nuits étouffantes où chaque geste semble porteur d’une signification insaisissable. L’attente devient leur rythme : celle d’un ailleurs, d’une échappée vers l’océan, rendue possible par une invitation de leur amie Desma. Mais cette fuite est-elle une solution ou une chimère ?
Sous son apparente inertie, le roman vibre d’interrogations profondes, notamment celle sur la maternité, omniprésente et pourtant refusée. India rejette farouchement l’idée, craignant de perpétuer un héritage dont elle ne veut pas. Toutefois, trois enfants — orphelins autoproclamés — se présentent à la maison au bord de la mer. Ils sont Alexander, Domenico et Grimaldi. Ils dormiront dans une chambre à l’étage.
« Dans la nuit, un feu s’est allumé sur la colline. Il vacille, danse et grandit, projetant des ombres mouvantes sur la pierre. Les flammes dévorent le silence, et la lumière, trop vive, fait reculer les ténèbres. » Fuyant le danger, India et Kallas emmènent les enfants à la ville, les apprivoisent. Accueillis, mais jamais vraiment possédés, tous trois incarnent les doutes et les contradictions du couple, présences imprécises qui s’effacent comme un avenir que l’héroïne refuse d’envisager.
La prose de Johanne Lykke Holm, sublimement transposée en français par Catherine Renaud, oscille entre exactitude tranchante et onirisme troublant. Chaque phrase est ciselée, chaque description exhale une tension qui se fait tantôt brute, tantôt lyrique. L’autrice bâtit un univers où la matière pèse les corps, où le vent, la mer et la pierre imposent leur propre tempo.
Soleil rouge est une œuvre envoûtante et déroutante appuyant sur l’incertitude et l’impossibilité de l’évasion. Un ouvrage où chaque sensation est une énigme, et où la langue, somptueuse, esquisse les contours d’un monde suspendu entre veille et rêve.