Les sismomètres peuvent aussi aider à détecter la chute de débris spatiaux

Les sismomètres situés aux alentours de Los Angeles ont enregistré des signaux inhabituels le 2 avril 2024. Un tremblement de terre aurait pu expliquer ce phénomène, mais les signaux détectés n’apparaissaient pas le long des lignes de faille. L’impulsion se déplaçait également plus rapidement qu’un séisme, traversant presque 500 km en 60 secondes avant de se dissiper. Au fur et à mesure que les données arrivaient, une boule de feu traversant le ciel a révélé l’origine de ces signaux : des débris spatiaux qui brûlaient en tombant vers la surface terrestre.
Il s’agissait d’un module de 1500 kg qui s’était détaché du vaisseau spatial chinois Shenzhou 15 quelque 10 mois plus tôt. La capsule contenant les astronautes les avait ramenés au sol en toute sécurité, mais le module qui s’en était détaché n’était pas sur une trajectoire contrôlée. Son entrée dans l’atmosphère a provoqué un bang sonique qui a déclenché des sismomètres, indiquant sa position dans le ciel.
Il ne s’agit pas d’un événement isolé. À mesure que de nouveaux engins sont lancés dans l’espace, le risque que des débris spatiaux incontrôlés — c’est-à-dire sans guidage actif — reviennent sur Terre s’accroît. Mais on sait maintenant que les sismomètres peuvent aider à détecter leur chute. D’autant que ces débris peuvent contenir des matériaux toxiques, causer des dommages s’ils touchent terre, et s’avérer mortels plus tôt que tard.
« Un jour ou l’autre, quelqu’un sera tué par un débris spatial », prévient Ben Fernando, spécialiste des planètes à l’Université Johns-Hopkins, qui dirige des recherches en la matière.
Quel est le risque d’être touché par un débris spatial ?
Le module Shenzhou 15 est l’un des nombreux objets qui ont foncé de manière incontrôlée sur la Terre ces dernières années.
En 2022, des responsables de la NASA et de l’Agence spatiale européenne avaient d’ailleurs critiqué l’entrée incontrôlée d’une capsule spatiale chinoise, qui avait finalement atterri sans encombre dans l’océan Pacifique. La même année, des agriculteurs australiens avaient trouvé des pièces de fusée de plus de deux mètres de long sur leur terre. SpaceX avait déclaré qu’elles s’étaient probablement détachées d’un vaisseau spatial Dragon qui revenait sur Terre depuis la Station spatiale internationale.
En 2020, des débris provenant d’une autre fusée chinoise avaient endommagé des villages en Côte d’Ivoire. Une famille de Floride a également intenté une action en justice contre la NASA après qu’un débris spatial métallique appartenant à l’agence eut fait un trou dans son toit en 2021.
« Il existe de nombreux cas où des débris spatiaux ont touché des biens », note M. Fernando, ajoutant qu’il n’y avait encore aucune information faisant état de personnes touchées par de tels objets.
Des milliers de fragments de fusée sont en orbite. Selon Aaron Boley, professeur agrégé de physique et d’astronomie à l’Université de Colombie-Britannique, nombre de ceux-ci entreront dans l’atmosphère de manière incontrôlée et ne s’y « consumeront » pas toujours entièrement. Le risque de blessures liées à la chute de débris est de l’ordre de « quelques pour cent par an », estime celui qui est aussi codirecteur du Outer Space Institute.
Selon une étude, au moins 951 objets artificiels de plus d’un mètre carré sont rentrés dans l’atmosphère terrestre de manière incontrôlée entre 2010 et 2022. En moyenne, un objet de plus de 450 kg retombait tous les 8 jours.
En fait, le risque d’être touché par des rentrées orbitales incontrôlées a été multiplié par quatre entre 2010 et 2023, indique Luciano Anselmo, qui a publié une étude évaluant ce risque. En 2023, lui et un collègue ont estimé que la probabilité qu’une chute incontrôlée de débris spatiaux blesse ou tue une personne dans le monde était d’environ 4 %. La chute de tels débris peut avoir d’autres effets en aval, comme la fermeture d’une part de l’espace aérien, car ils peuvent également heurter un avion en vol. « Les probabilités sont encore assez faibles, mais elles augmentent », note M. Anselmo.
Comment détecter les chutes de débris spatiaux ?
Il n’est pas facile de repérer de gros morceaux de métal qui tombent un peu partout dans le monde.
Les radars terrestres peuvent les détecter, mais ils ne couvrent pas une grande partie de la planète et leurs données sont souvent tenues secrètes, explique Ben Fernando, de l’Université Johns-Hopkins. L’autre option consiste à utiliser des instruments optiques, comme des caméras de surveillance, mais les informations relatives à l’heure, à la taille et à la vitesse des chutes peuvent être limitées.
M. Fernando s’est donc tourné vers les données sismologiques. Des installations disséminées d’un bout à l’autre du monde diffusent en direct des données qui peuvent être facilement téléchargées. Et si les sismomètres ont été utilisés pour suivre les météores dans le ciel depuis plus d’un siècle, c’est la première fois, à sa connaissance, qu’ils sont utilisés pour traquer les débris spatiaux.
L’expert a d’abord testé cette idée en suivant la rentrée contrôlée de la mission OSIRIS-REx de la NASA en septembre 2023, qui a ramené des matériaux de l’astéroïde Bennu. Il a installé des sismomètres le long de la trajectoire de la capsule sur le site d’atterrissage dans l’Utah et a mesuré son bang sonique.
« C’est un très bon moyen de surveiller ce qui arrive, la fréquence des arrivées et la taille des objets qui frappent la Terre », a déclaré M. Fernando, qui a présenté ses résultats lors de la conférence de l’American Geophysical Union en décembre.
Le scientifique n’est pas tombé par hasard sur la rentrée du module chinois Shenzhou 15. Lorsqu’il en a entendu parler, il s’est dit que les sismomètres californiens pourraient capter le bang causé par sa vitesse de déplacement, qui est supérieure à celle du son. Même si le module était sur une orbite décroissante et qu’on savait qu’il tomberait non loin de Los Angeles, son point d’entrée exact dans l’atmosphère n’était pas connu : de nombreuses personnes au sol ont été surprises de voir et d’entendre les débris tomber au-dessus de leur tête.
Les signaux émis par le bang sonique n’étaient pas très importants — ils étaient comparables à ceux d’un très petit tremblement de terre —, mais ils étaient suffisamment inhabituels pour être détectés. « L’onde de choc déforme le sol autour du sismomètre », explique M. Fernando. « Elle résonne aussi beaucoup plus longtemps parce que toute cette énergie rebondit dans le sol. »
Les données des sismomètres ont fourni les heures de passage à différentes stations et la durée du bang sonique, que M. Fernando et ses collègues ont pu utiliser pour reconstituer la trajectoire des débris. Bien que cette analyse en particulier ait été effectuée dans les mois qui ont suivi l’événement, un système automatisé pourrait s’en charger quelques instants après l’apparition des débris sur les capteurs, dit-il.
Outre la détection de l’événement en tant que tel, les sismomètres peuvent aider à localiser l’endroit où les débris sont tombés. Ce repérage est important, car certains débris spatiaux peuvent contenir des matériaux toxiques pouvant nuire à l’environnement.
« Les sismomètres pourraient être très utiles pour fournir davantage de données sur les caractéristiques de la rentrée dans l’atmosphère » des débris spatiaux, affirme de son côté Luciano Anselmo, chercheur associé au Conseil national italien de la recherche. Selon lui, de telles observations peuvent améliorer l’évaluation des risques liés à la chute des débris spatiaux.
Selon M. Anselmo, une solution potentielle pour résoudre le problème dans son ensemble consisterait à faire en sorte que tous les objets de grande taille reviennent sur Terre de manière contrôlée, et loin de toute personne. Quant aux objets plus petits, ils devraient être conçus de manière qu’il ne reste aucun débris lorsqu’ils se consument. On ne sait pas quand ces solutions pourront être mises en œuvre — ou même si elles peuvent l’être un jour.
En attendant, vous pouvez consulter les données des sismomètres de votre voisinage pour savoir si des débris spatiaux sont tombés près de chez vous.