«Silent Legacy», s'exprimer grâce au krump
Après trois ans de tournée en Europe, le spectacle Silent Legacy, de Maud Le Pladec et Jr Maddripp, sera présenté par Danse Danse à la Cinquième Salle de la Place des Arts du 25 février au 1er mars. Créée au Festival d’Avignon, cette création s’interroge sur les esthétiques, les générations et les cultures en explorant la filiation chorégraphique entre deux styles que tout semble opposer : le krump et la danse contemporaine.
« Je me sens grande et belle quand je danse du krump. Ça me permet aussi d’exprimer mes émotions », dit Adeline Kerry Cruz, jeune prodige montréalaise. En effet, à seulement 11 ans, elle parcourt déjà le monde avec ses vidéos de danse, ses performances dans les émissions de télévision, mais aussi pour des créations avec Les 7 doigts, Le Cirque du Soleil ou encore lors du spectacle d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024.

C’est à quatre ans qu’Adeline a commencé la danse. « Quand ma mère était enceinte, elle a vu un spectacle du studio Urban Element Zone (UEZ) et elle a adoré ça, l’ambiance était folle, tout le monde criait ! Elle s’est dit “quand ma fille sera née, je l’amènerai dans ce studio.” Et depuis, je m’y entraîne », raconte la jeune fille. Bien que ses parents lui aient proposé toutes sortes de disciplines, hockey, soccer, gymnastique, c’est la danse qui l’a emporté. « Quand je ne danse pas, je suis très timide. En dansant, je prends en confiance en moi. »
À l’âge de sept ans, Adeline commence les projets professionnels. Après avoir dansé dans le clip Hold Me Closer de Britney Spears et Elton John, elle reçoit une proposition d’un ami de son père, ancien circassien qui travaille pour Les 7 doigts. « C’était pour faire un film où une jeune fille dansait le krump. C’est là que j’ai découvert ce style et j’ai vraiment adoré ! Même après le tournage, je voulais continuer et aujourd’hui, j’en fais presque chaque jour », raconte l’artiste.
Un duo naturel
Pour l’aider à s’améliorer dans ce style, né dans les années 1990-2000, le père d’Adeline la met alors en relation avec celui qui deviendra son mentor: Kevin Gohou, alias Jr Maddripp. Celui-ci est considéré comme l’un des pionniers du mouvement krump en Europe, même si, à ses débuts, il était loin de viser à en faire une carrière. « J’ai commencé à danser en 2007 seulement. Avant ça, je dansais pour rigoler, se souvient-il. J’ai vu le film Rize et ça a complètement changé ma vie. J’étais dans un moment difficile, bizarre dans ma vie et ça a tout changé. » Un des inventeurs de cette danse, Ceasare “Tight Eyez” Willis, devient alors son mentor et lui transmet ses savoirs. « Après, j’ai fait des battles, des émissions, des spectacles et en 2013, je suis arrivé au Canada et il fallait que je recommence ma carrière à zéro », poursuit-il. C’est en 2017 qu’il décrochera son premier contrat ici, en tant que danseur, avec Le Cirque du Soleil.

Cirque Éloize, Orchestre symphonique de Montréal, tournées, Jr Maddripp gagne sa vie en tant qu’interprète, mais donne aussi des ateliers à travers le monde en tant qu’enseignant. C’est en 2021, dans un spectacle avec Les 7 doigts, qu’il rencontre Adeline. « Dans la tournée, on formait déjà un duo, alors à l’extérieur, on a continué à travailler dessus. Ça a fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux. On a été invité dans plusieurs émissions, dont America’s Got Talent », explique-t-il. Rapidement, leur relation professionnelle évolue en relation amicale, voire familiale. « Kevin, c’est mon grand frère, et le grand frère de ma sœur aussi. C’est la famille, il joue avec nous à cache-cache, au UNO. J’adore être avec lui », confie Adeline. Un sentiment que le krumpeur partage. « Elle et moi, on est des timides, on se ressemble beaucoup, mais c’est aussi une grande travailleuse. Adeline, c’est une petite fille avec une âme d’adulte et le fait qu’elle soit toujours à mes côtés, ça m’a fait grandir. »

Pour Jr Maddripp, le krump est un style qui permet de se connecter à soi. « Certains voient ça comme de la violence, de l’énervement, mais ce n’est pas ça. C’est le fait d’être capable de s’exprimer en tant qu’individu, avec des mouvements puissants. Des fois, il y a des sentiments, ou des choses qu’on ne peut pas exprimer avec les mots alors on les met dans la danse », dit-il. Ainsi, depuis quatre ans, Adeline et lui s’entraînent ensemble. « Je danse seule, en freestyle, et il me montre des choses à travailler, des mouvements à intégrer dans ma danse, des mouvements à essayer », dit la danseuse.
S’exprimer en mouvements
C’est en 2021 que Maud Le Pladec, chorégraphe en France, découvre les vidéos d’Adeline. Rapidement, elle décide qu’elle veut travailler avec elle et vient à Montréal pour commencer le projet Silent Legacy. « C’était cool lorsqu’elles travaillaient ensemble, mais il manquait quelque chose. Maud trouvait que ce n’était pas la même chose que sur les vidéos qu’elle avait vues, raconte Jr Maddripp. Elle a donc décidé de me contacter pour coécrire le projet. Toute la direction artistique a été faite par Maud. Moi, mon rôle était de travailler sur le solo d’Adeline pour que l’éthique du krump soit respectée, que le style reste authentique et que je sois là pour motiver Adeline, lui donner des intentions. »

Ainsi, le solo de la jeune danseuse est totalement écrit. Malgré cela, il y a toujours une place pour le freestyle et l’improvisation. « Toutes les intentions sont écrites, il y a des cues de placés, mais comme au théâtre, on est dans la peau d’un personnage. On sait comment il marche, comment il parle et ce qu’il doit dire, mais des fois, on s’écarte un peu des lignes. On le raconte à notre manière », décrit-il.
Pour Adeline, ce spectacle est très particulier. En effet, il tourne maintenant depuis trois ans et a donc grandi avec elle. « Je suis très excitée que mes amis voient enfin ce spectacle, mais aussi que les gens de Silent Legacy puissent découvrir où j’habite », se réjouit-elle. Une création très importante pour Jr Maddripp aussi puisqu’il s’agit de la première qu’il a coécrite et qui passera sur une si grande scène. « J’aimerais que le public comprenne que la danse, l’art, n’a pas de corps, d’ethnie, de taille. Tout le monde peut s’exprimer à travers la danse. »
Adeline aussi espère passer un message à travers Silent Legacy : « Je voudrais que les gens se rendent compte que parfois, on peut s’exprimer en mouvement, et pas en mots. Et aussi que les filles peuvent exprimer tout ce qu’elles ressentent, qu’elles sont capables de beaucoup de choses. »