Si nous rêvions de la formation professionnelle?

Une fois par mois, Le Devoir d’éducation veut proposer des contributions enrichissantes, qu’elles proviennent de chercheurs et de praticiens du milieu de l’enseignement ou d’autres personnes qui ont réfléchi à l’état de notre système d’éducation.
Je me suis interrogé sur la manière d’aborder le sujet de la formation professionnelle initiale sans verser dans les critiques habituelles sur l’éducation. Les discussions portent fréquemment sur les élèves en difficulté, la revalorisation et les besoins en main-d’œuvre, des thèmes récurrents dans le débat sur cette filière de formation souvent dépréciée.
Après plus de 45 ans à travailler en formation professionnelle, j’ai décidé de rêver la formation professionnelle plutôt que de me concentrer sur ce qui ne fonctionne pas. Je veux laisser aller mon imagination pour penser à un avenir prometteur qui découlerait d’un présent visionnaire.
La formation professionnelle est souvent victime d’une fâcheuse tendance à séparer les capacités d’un élève à apprendre avec sa tête ou avec ses mains. Lorsqu’un élève éprouve des difficultés à l’école, il est couramment orienté vers un métier de la formation professionnelle, en fonction des préalables exigés. Un élève m’a déjà confié un jour que ce n’est pas parce qu’il apprenait à partir d’un contexte plus pratique que cela faisait de lui une personne ayant des limitations.
Apprendre un métier implique de se servir de sa tête, de ses mains et de son cœur. La tête pour comprendre, les mains pour faire, le cœur pour aimer ce que l’on fait.
Les métiers
On compte environ 150 programmes d’études professionnelles menant à autant de métiers. Ces derniers peuvent être classés en trois catégories qui vont exiger le développement de compétences professionnelles à des niveaux divers.
Tout d’abord, il y a les métiers qui nécessitent principalement la maîtrise de techniques et de procédés pour produire des biens, comme les ouvriers du bâtiment ou les soudeurs. On trouve également les métiers de la réparation et de l’entretien qui demandent une bonne capacité à diagnostiquer, tels que les mécaniciens automobiles ou les électromécaniciens.
Finalement, on trouve les métiers qui exigent un plus haut degré d’adaptation aux situations et de jugement critique pour décider dans l’action, comme les infirmières auxiliaires ou les assistantes techniques en pharmacie. Cette variété de métiers offre ainsi des perspectives pour tous les profils professionnels.
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.
En 1964, le rapport Parent indiquait « que pour pouvoir jouer un rôle utile dans un monde de plus en plus évolué et exigeant, tous les citoyens de demain, sans exception, devront avoir une formation intellectuelle plus solide et plus poussée ». Il est juste de supposer que ces exigences ont persisté et se sont même accentuées.
Ce développement vers la complexité m’amène au concept de productivité, qui est d’actualité. Être productif ne signifie pas simplement travailler davantage, mais plutôt travailler efficacement. Pour travailler efficacement, il faut comprendre ce qu’on fait. Pour comprendre un acte professionnel, il faut gérer la situation de travail et pas seulement être en mesure d’exécuter des tâches.
Cela nécessite le développement de compétences à des niveaux supérieurs, telles que la résolution de problèmes, l’analyse, le raisonnement et l’adaptation à un monde du travail en constante évolution. Apprendre un métier, ce n’est pas seulement une question d’acquérir des savoirs, mais également à comprendre comment ces savoirs sont acquis, afin de devenir des compétences.
L’apprentissage
La formation professionnelle est un parcours d’apprentissage qui permet à un élève d’apprendre des connaissances théoriques et techniques afin de pouvoir faire et défaire ses pratiques pour s’adapter et ainsi manifester une conduite qui lui permettra de construire son identité professionnelle.
Le Conseil supérieur de l’éducation notait dans l’un de ses rapports que les changements à la nature des emplois requièrent des qualités personnelles et des compétences professionnelles de plus en plus définies et complexes : le travail est plus abstrait et fait appel à des activités de type cognitif du genre réflexion, choix, décisions.
Ce qui distingue la formation professionnelle de la formation offerte au primaire et au secondaire, c’est d’apprendre à partir de situations de travail. Cette confrontation à la réalité simulée permet aux élèves, en vivant ces situations, de comprendre la complexité des compétences et de les mettre en œuvre dans un contexte sécuritaire, où il bénéficie d’un soutien et d’un encadrement par des enseignants experts de leur métier.
L’élève qui aspire à la formation professionnelle devrait avoir accès, dès son entrée au secondaire, à un parcours lui permettant de s’engager dans la planification et la réalisation d’activités pratiques favorisant la résolution de problèmes.
Certains pays désignent ce parcours sous le terme de « voie technologique ». Il comporte les mêmes apprentissages, mais avec des modalités correspondant mieux à la diversité des élèves qui abordent le savoir par son sens. À la fin de ce parcours, l’élève a plusieurs options : la formation professionnelle, la formation technique, la formation pré-universitaire ou encore, selon ses ambitions, les études universitaires.
Après une solide formation de base, l’élève a acquis les préalables nécessaires pour choisir le métier qu’il désire exercer, selon ses aptitudes et ses goûts, ce qui est mieux que de choisir, par dépit, parmi les programmes accessibles imposés par ses résultats scolaires, comme c’est le cas actuellement.
Les enseignants
L’enseignant en formation professionnelle est différent lui aussi. L’un des défis importants qu’il a à relever est que, alors qu’il vient du passé, il enseigne au présent à des élèves qui vont travailler dans l’avenir. Il est donc exclu que ce dernier enseigne seulement à partir de ses expériences. Il doit non seulement adapter son expertise aux réalités présentes, il doit aussi anticiper les développements professionnels à venir.
L’enseignant de la formation professionnelle se distingue par le fait qu’il possède une expérience et des connaissances dont une grande partie ne se trouve pas dans des livres. Son expertise particulière lui permet de créer les conditions de développement des compétences professionnelles dans des situations de travail significatives.
L’enseignant de la formation professionnelle doit non seulement connaître son métier et l’exercer avec compétence, il doit aussi avoir les compétences nécessaires à la création des conditions pour bien l’apprendre. Ce n’est pas parce que l’on sait faire quelque chose qu’on peut l’enseigner.
Pour être en mesure de bénéficier de son expertise dans sa discipline et lui permettre de se qualifier, l’enseignant doit avoir à sa disposition une variété de spécialistes pour l’accompagner dans son travail et soutenir les élèves dans leurs apprentissages. Il ne serait pas raisonnable d’exiger qu’en plus d’être pédagogue, il soit orthopédagogue, didacticien, travailleur social, psychologue et conseiller en orientation pour offrir les services dont les élèves ont besoin.
On parlera de la nécessité d’avoir une équipe multidisciplinaire pour l’accompagner dans son rôle et pour créer les conditions propices à l’apprentissage du métier chez ses élèves.
La formation
Le milieu de formation doit permettre aux élèves de créer des liens d’appartenance et de fierté qui sont représentatifs des aspirations de ceux qui y œuvrent.
C’est un milieu où l’élève développe des compétences et où il se confronte au contexte de travail, à ses responsabilités et aux valeurs du métier auquel il aspire. L’élève y vit des situations qui permettent de dépasser le niveau « d’exécutant » pour devenir un professionnel capable de résoudre des problèmes, de développer son jugement critique, de s’adapter, de maîtriser la terminologie de la profession, de collaborer, de respecter l’environnement, de communiquer son expertise, d’assumer ses responsabilités et, finalement, de développer les compétences nécessaires comme un travailleur responsable et un citoyen engagé. On y apprend à vivre et à se passionner pour un métier.
Le terme « réussite » a plusieurs significations. Pour certains, c’est avoir de bonnes notes ; pour d’autres, c’est obtenir un diplôme ou encore simplement atteindre ses objectifs personnels. La réussite, pour une personne en formation professionnelle, à part d’obtenir un diplôme, c’est de pouvoir bien faire le métier qu’elle désire exercer.
La réussite du développement de sa compétence professionnelle se constate à partir de ce qu’une personne a la capacité de réaliser. Un portfolio professionnel des réalisations de l’élève tout au long de son parcours de formation serait une modalité plus pertinente pour démontrer le développement de sa compétence. Ce type d’appréciation serait axé sur ce que l’élève peut faire, au lieu d’une comparaison avec ce qu’il devrait faire.
Confronté à lui-même, l’élève développe le goût de s’améliorer tout au long de sa formation et de sa vie professionnelle. Le goût de s’améliorer lui sera indispensable pour faire face à l’avenir, car la seule chose dont nous sommes certains, c’est que les milieux de travail vont changer et que les travailleurs devront s’adapter. Et pour s’adapter, il faut savoir apprendre.
La formation professionnelle permet aux élèves de réaliser leur objectif d’exercer un métier selon leurs goûts et leurs capacités tout en faisant d’eux des citoyens qui pourront agir dans leur milieu professionnel et dans leur communauté.
Mon rêve consiste à ce que les élèves choisissent la formation professionnelle par goût d’un métier, à ce que les enseignants enseignent par goût de le faire apprendre, à ce que le milieu de formation donne le goût d’apprendre, à ce que les parents encouragent les aspirations de leurs enfants selon ce que ceux-ci ont le goût de faire, pour que les milieux de travail aient le goût d’avoir plus de travailleurs qui aiment leur métier.
Je ne pense pas que mon rêve soit si loin de la réalité. À divers niveaux, ce que je vous ai présenté existe déjà au Québec. Je n’aime pas les discours de revalorisation de la formation professionnelle, car on n’y traite que de la perception. La formation professionnelle a de la valeur, c’est indiscutable. Mais, malheureusement, elle a peu de promoteurs crédibles.
Il ne faut pas valoriser la formation professionnelle, il faut se rendre compte que, sans formation professionnelle, l’économie du Québec serait en très mauvais état. La formation professionnelle a de la valeur, il faut simplement s’en rendre compte.
Pour proposer un texte ou pour faire des commentaires et des suggestions, écrivez à Dave Noël à dnoel@ledevoir.com.