Et les sept ennuyeuses dans tout cela?

Sur Wall Street, les « sept magnifiques » captent toute l’attention depuis deux ans. Uniquement pour 2024, les valeurs technologiques comptaient pour plus de la moitié de la progression de quelque 25 % de l’indice de référence new-yorkais S&P 500, gonflée par un bond de 63 % des sept plus grandes. Ces dernières comptaient pour le tiers de la capitalisation de l’indice. Cette effusion boursière ne devrait en rien enlever à la pertinence d’accorder de l’espace, beaucoup d’espace, dans les portefeuilles diversifiés aux actions dites « ennuyeuses ». « Boring but necessary. »

Avant, c’était le GAFAM, pour Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft. Depuis, ce sont les sept magnifiques, avec l’ajout de Nvidia et de Tesla à ce club prestigieux. Un huitième membre, Broadcom, pourrait se greffer à ce qu’on appelle les « megacap stocks ». Le spécialiste des semi-conducteurs et des logiciels a dépassé en décembre le cap des 1000 milliards de dollars américains de capitalisation boursière, nous dit Zonebourse, « grâce à la forte demande pour ses produits liés à l’intelligence artificielle ».

Avec une capitalisation boursière totale de près de 12 000 milliards de dollars, les sept plus grandes accaparaient autour de 25 % de la capitalisation boursière du S&P 500 à la fin de 2024.

En Bourse, l’indice des valeurs technologiques Nasdaq 100 a affiché une performance de quelque 30 % en 2024, qui s’ajoutait à un bond de près de 50 % en 2023, poussant le S&P 500 en hausse de plus de 20 % au cours de chacune de ces deux années. La performance des dix plus grosses valeurs technologiques telle que captée par l’indice NYSE Fang+ a été plus spectaculaire, avec un saut de plus de 50 % l’an dernier, de 195 % depuis le creux de novembre 2022. Cette référence à 2022 nous rappelle toutefois que cette année associée à l’explosion de l’inflation et à l’amorce d’une forte hausse des taux d’intérêt qu’elle a induite a été des plus difficiles pour les valeurs technologiques, le Nasdaq 100 reculant de 30 % sur 12 mois en 2022. Le S&P y a fait également écho avec un plongeon de près de 20 %.

Et nos ennuyeuses, dans tout cela ? L’on parle, ici, d’actions d’entreprises qu’on ne qualifie pas de titres de croissance. Mais qui proposent des rendements réguliers, dont le cours de l’action affiche une faible volatilité, qui versent généralement des dividendes et qui s’activent dans des industries que l’on peut qualifier de banales, parfois réglementées, offrant généralement des services essentiels ou de base, comme l’alimentation, les services publics, les chemins de fer, voire l’immobilier industriel et les institutions financières.

De nature stable, leur croissance est plus prévisible, tout changement dans leurs flux de trésorerie est très visible pour les investisseurs et leurs valorisations, plus conformes aux attentes. « Il s’agit d’actions avec peu de drame sur la base de données historiques, où vous avez des flux de trésorerie relativement prévisibles et faciles à suivre », explique Jennifer McClelland, première directrice générale et gestionnaire de portefeuille, chez Actions nord-américaines à RBC Gestion mondiale d’actifs, dans une note à la clientèle.

« Bien que certains secteurs puissent être considérés comme plus ennuyeux que d’autres, des entreprises ennuyeuses existent dans presque tous les secteurs. » La clé, dit l’experte, est de « trouver une entreprise qui a des flux de trésorerie visibles. Un modèle économique qui ne peut pas être facilement reproduit, un bilan solide. Idéalement, un faible endettement et une équipe de direction capable d’articuler la stratégie de l’entreprise et ayant fait ses preuves en matière d’exécution. Nous voulons voir de la cohérence, une communication solide et un avantage concurrentiel. »

L’école Buffett

On le devine, on entre ici dans l’univers qu’emprunte l’école de Warren Buffett. Si l’on prend uniquement l’action de Berkshire à titre de référence, elle a affiché un gain similaire à celui du S&P 500 l’an dernier, s’ajoutant à celui de 16 % en 2023. Mais pour l’année difficile de 2022, elle s’en est sortie en faisant, en définitive, du surplace sur la période de 12 mois, contrastant ainsi avec les forts reculs des valeurs technologiques et du S&P 500. Au cumul sur ces trois années, l’action de Berkshire affiche une augmentation de plus de 40 %, contre 35 % pour le Nasdaq 100 et un peu plus de 25 % pour l’indice de référence de la Bourse de New York. Et du début de 2021 au creux de novembre 2022, l’indice des dix plus grandes valeurs technologiques NYSE Fang+ a reculé plus de 30 %, alors que l’action de Berkshire avait emprunté le chemin inverse.

Il faut toutefois le dire. Les quatre premiers titres selon la capitalisation boursière, soit Apple, American Express, Bank of America et Coca-Cola, représentent près des deux tiers de la valeur marchande de 266,4 milliards de dollars américains du portefeuille de Warren Buffett au 30 septembre 2024. À elle seule, Apple comptait alors pour plus de 26 % de la valeur du portefeuille. American Express affichait une part de 15,4 %, suivie de Bank of America (11,9 %) et de Coca-Cola (10,8 %).

Ces titres dits ennuyeux se qualifient donc pleinement pour constituer la base, voire les racines profondes d’un portefeuille diversifié.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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