Le riz basmati, plus populaire… et moins bon

Des ouvriers ramassent du riz basmati à Sheikhupura, au Pakistan, avant qu’il ne soit raffiné dans une usine.
Photo: Saiyna Bashir The Washington Post Des ouvriers ramassent du riz basmati à Sheikhupura, au Pakistan, avant qu’il ne soit raffiné dans une usine.

Bien avant que les terres du Pendjab ne fassent partie de la frontière entre l’Inde et le Pakistan, les agriculteurs de cette région cultivaient un précieux riz à grains longs qui était convoité dans le monde entier.

Le riz basmati — la « perle parfumée » de la région — a probablement été exporté vers l’Empire romain, selon les historiens, et fait aujourd’hui l’objet d’une demande croissante aux États-Unis et en Europe. Pourtant, ses origines n’ont jamais été aussi conflictuelles et son avenir, aussi incertain.

Les autorités de New Delhi font pression pour que le riz basmati bénéficie d’un statut protégé sur les marchés mondiaux en tant que produit exclusivement indien. Elles se sont heurtées à l’opposition véhémente du Pakistan, qui affirme que le riz fait partie de l’héritage commun des deux pays.

Mais sur la terre originelle du basmati, nombreux sont ceux qui craignent que la véritable menace soit ignorée par les dirigeants des deux pays. Alors que les analystes prévoient un doublement de la demande internationale de basmati au cours des prochaines années, pour atteindre un montant estimé à 27 milliards de dollars américains d’ici à 2032, les agriculteurs et les spécialistes du riz affirment que cette variété caractéristique est sur le point de disparaître.

Un goût en danger

Le nom du basmati est dérivé d’un ancien mot indo-aryen signifiant « aromatique » et « parfumé », et il est décrit par de nombreuses personnes ici en termes presque religieux.

« Il y a un moment spécial, lorsque vous soulevez le couvercle de votre marmite et que la vapeur en sort, affirme Muhammad Nawaz, un chef cuisinier pakistanais de 37 ans. C’est une explosion à l’intérieur de votre nez ; cela vous enivre. »

Personne ne peut dire avec certitude quand cela a commencé à changer. Mais tous s’accordent à dire que la plupart des riz basmati produits dans la région aujourd’hui, même s’ils portent l’étiquette, n’ont plus le goût caractéristique du basmati traditionnel.

« Les jeunes agriculteurs ont perdu le savoir traditionnel sur la façon de préserver la pureté génétique », explique Debal Deb, un écologiste qui travaille avec des agriculteurs indiens pour conserver les semences indigènes. Il qualifie le débat sur la propriété du basmati de « gaspillage total d’énergie de part et d’autre ».

Dans les années 1980, les agriculteurs indiens et pakistanais à la recherche d’un avantage commercial ont commencé à cultiver des variétés qui mûrissaient plus vite et qui produisaient des rendements plus élevés, mais celles-ci n’avaient pas la richesse caractéristique du basmati. Au cours des décennies suivantes, les petites exploitations agricoles ont cédé la place aux grandes entreprises agroalimentaires. L’accélération des cycles de récolte, les raccourcis de transformation et la dégradation des sols, en partie causée par les changements climatiques, ont tous contribué à la production d’un riz moins parfumé.

Mais les nouvelles variétés sont moins chères et plus faciles à préparer à la maison. Plus important encore, selon les exportateurs, la plupart des clients occidentaux ne font pas la différence.

À Lahore, et dans toute cette ceinture agricole d’Asie du Sud, nombreux sont ceux qui pensent que le véritable riz basmati est en train de s’éteindre discrètement. « Nous en avons compromis la définition », affirme Faisal Hassan, dont le père est devenu un héros national au Pakistan lorsqu’il a contribué à la création d’une variété populaire de riz basmati dans les années 1960. « C’est suicidaire. »

Dispute géopolitique

Le riz basmati est profondément enraciné dans la région du Pendjab, qui comprend aujourd’hui un État indien et une province pakistanaise adjacente. Des archéologues ont découvert que les premières formes de riz ont probablement été cultivées ici il y a 2000 ans. Des références écrites à ce riz apparaissent dès le XVIe siècle, lorsque l’Empire moghol régnait sur une grande partie du sous-continent indien.

« C’était la nourriture des empereurs et des rois », dit Raja Arslan Ullah Khan, un exportateur de riz pakistanais.

Dans les années 1930, le gouvernement colonial britannique en Inde a officiellement reconnu la première variété standardisée de basmati, qui avait fait l’objet de recherches dans une partie de ce qui allait devenir la province pakistanaise du Pendjab lors de la partition de l’Inde britannique en 1947.

Le riz basmati n’a pas connu un succès international immédiat. Les premiers importateurs se trouvaient principalement au Moyen-Orient, qui avait une affection croissante pour le biryani, et parmi les diasporas sud-asiatiques en Europe et aux États-Unis.

Dès le début, l’Inde et le Pakistan se sont disputés pour savoir qui avait le meilleur basmati et qui avait le droit d’en revendiquer le nom. Lors de la guerre indo-pakistanaise de 1965, les agriculteurs pakistanais ont accusé les soldats indiens d’avoir volé leurs semences ; l’Inde a ensuite accusé son voisin de copier ses variétés les plus prisées.

« Notre riz était de bien meilleure qualité que celui de l’Inde », soutient Chaudhry Arshad Mahmood, un agriculteur pakistanais de 55 ans dont la famille cultive du riz dans la région depuis des décennies.

Ganesh Hingmire, professeur indien spécialisé dans les litiges relatifs à la propriété intellectuelle, ne pourrait être plus en désaccord : « Si vous avez une qualité inférieure, vous n’avez pas le droit de prétendre que c’est la vôtre. »

Au cours des dernières décennies, l’Inde a indéniablement pris le dessus dans la course à la domination mondiale du basmati. Ses stratégies de marketing et ses politiques d’exportation de plus en plus efficaces ont dépassé celles du Pakistan, qui est « en retard sur la fête », dit Saboor Ahmed, un fournisseur de riz à Lahore.

Le pays est à la recherche d’occasions pour s’emparer d’une plus grande part de marché, comme il l’a fait après 2018, lorsque les exportations indiennes vers l’Europe ont été plombées par les nouvelles limites imposées par l’Union européenne en matière de pesticides.

Mais « soyons honnêtes : leur variété est semblable à la nôtre », dit Yograjdeep Singh, un stratège commercial du riz basmati en Inde. « Pourquoi nous disputons-nous à ce sujet ? »

Les efforts déployés par New Delhi à l’échelle mondiale pour faire reconnaître son droit de propriété sur le riz basmati sont en grande partie restés lettre morte. Alors qu’une requête indienne est en cours dans l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont rejeté des demandes juridiques similaires.

Un héritage incertain

Il n’existe pas de données exactes sur la quantité de riz basmati traditionnel encore cultivé au Pakistan, mais les exportateurs et les experts s’accordent pour dire que la majorité du riz produit dans ce pays est aujourd’hui constituée de variétés plus récentes à haut rendement. De l’autre côté de la frontière, le Pusa Basmati 1121, ou PB 1121, une variété plus récente, représentait environ 70 % de tous les basmatis cultivés dans l’État indien du Pendjab en 2019.

Il est peu probable que cette tendance s’inverse. Selon une étude, les agriculteurs ont gagné en moyenne 1400 dollars par hectare de PB 1121, soit plus du double des 650 dollars qu’ils gagnaient avec les variétés plus anciennes.

Debal Deb, écologiste indien, gère sa propre banque de semences de riz dans le cadre d’un mouvement local de conservation du riz basmati traditionnel, petit, mais en plein essor. « Nous préservons la pureté génétique de chaque variété, explique-t-il, puis nous les distribuons gratuitement aux agriculteurs. » Il ajoute que des efforts plus importants sont nécessaires dans toute la région si l’on veut que le goût et le parfum d’origine des variétés indigènes perdurent.

Au Pakistan, les gens disent que le basmati aura toujours sa place à leur table, même s’il n’est plus ce qu’il était.

Faqir Hussain, propriétaire d’un restaurant à Lahore, a décidé il y a quelques années de servir à ses clients une variété moins chère à base de grains longs. « Les gens oublieront probablement que le riz basmati traditionnel a existé », dit-il.

M. Hussain et d’autres hommes d’affaires pakistanais s’efforcent de satisfaire les jeunes générations — l’âge médian dans le pays est d’environ 20 ans — qui n’ont souvent pas le lien affectif avec le riz basmati traditionnel ni les moyens de se l’offrir.

Saqib Ur Rahaman, 52 ans, serveur à Lahore, dit qu’il comprend pourquoi beaucoup passent à autre chose ; les plats de son restaurant doubleraient de prix si l’on continuait à utiliser les anciennes variétés.

Pour lui, cependant, il n’y a pas de substitut à l’original. Il reçoit toujours les précieux grains à des prix abordables de la part des parents de sa femme, qui vivent à proximité, dans les zones de culture du riz.

« Tant que ma belle-famille sera en vie, je serai OK », dit-il.

Avec Shaiq Hussain à Islamabad, au Pakistan, et Abdullah Niazi, à Lahore

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