À RIDEAU, prendre le pouls du milieu des arts vivants

Le ciel de la capitale paraîtra plus gris aux quelque 1500 délégués (artistes, agents, producteurs, diffuseurs, locaux et internationaux) réunis pour prendre part à l’Événement RIDEAU, le grand marché annuel du spectacle vivant au Québec. La rencontre se déroule au moment où le milieu des arts se mobilise pour obtenir des aides financières lui permettant de remplir sa mission de présenter au public, partout en province, le travail des créateurs. Au jour de l’ouverture de l’Événement, Le Devoir prend le pouls du milieu avec David Laferrière, directeur général du théâtre Outremont et président du conseil d’administration de RIDEAU.
Il est prévu que David Laferrière s’adresse aux délégués lors du cocktail d’ouverture de l’événement organisé par l’Association professionnelle de diffuseurs de spectacles RIDEAU. Il ne sait cependant pas encore quel ton il adoptera : « D’une part, j’ai vraiment hâte de retrouver les collègues, même si tout le monde est inquiet, avoue-t-il. Je ne sais pas encore quelle émotion prendra le dessus, parce que je ne veux pas arriver à Québec la mine déconfite. Je pense beaucoup à ça ces jours-ci : dans quel état d’esprit serons-nous à RIDEAU ? Quel genre de semaine allons-nous passer ? »
En revanche, le directeur général de l’Outremont croit que la tenue du « plus important rendez-vous francophone des arts de la scène en Amérique » tombe au bon moment, en pleine crise du spectacle vivant. « Depuis la fin de la pandémie, chaque édition de RIDEAU nous énergise. C’est le moment où on se dit que le combat n’est pas terminé. »
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La crise, David Laferrière la vit à titre de directeur du théâtre Outremont, qui a annoncé avoir aboli sa série de concerts au Petit Outremont, laquelle représente près du quart des spectacles à l’affiche de sa programmation annuelle. D’autres diffuseurs dans la même situation financière précaire sont aujourd’hui forcés de réduire l’offre de spectacles, mais sa décision a valeur de symbole, celui du canari dans la mine : si l’Outremont, avantageusement logé en milieu urbain, doit sabrer son affiche, on peut aisément imaginer que les diffuseurs à l’extérieur des grands centres en arrachent tout autant.
Oui, mais le directeur général en poste depuis l’année dernière nuance : « L’Outremont est un lieu atypique parce qu’on est un diffuseur pluridisciplinaire. » C’est cette catégorie de diffuseurs qui obtiennent une grande partie de leur financement auprès du Conseil des arts et lettres du Québec (CALQ). « On est un OBNL avec une mission particulière », celle de présenter des productions de toutes les disciplines (théâtre, danse, conte, musiques, etc.), « mais qui opère au cœur de Montréal, entouré de Maisons de la culture — où l’offre est à peu près gratuite — et de diffuseurs spécialisés », de théâtres institutionnels, de lieux voués à la danse, etc.
« Il y a donc clairement une profonde réflexion à avoir à propos du rôle du théâtre Outremont dans l’écosystème du spectacle à Montréal », constate David Laferrière avec lucidité. « À titre de diffuseur pluridisciplinaire, nous sommes tributaires de l’offre de spectacles existante à Montréal ; mais cette nécessité de nous repositionner ne peut faire abstraction d’une autre réalité : notre modèle d’affaires ne tient pas la route. »
Ce qui est vrai pour l’Outremont l’est donc aussi pour la majorité des diffuseurs pluridisciplinaires répartis sur le territoire québécois et grâce auxquels les publics loin des grands centres peuvent assister, comme ceux de Montréal ou Québec, à des représentations de théâtre, de danse ou des concerts de jazz, pour ne nommer que ces disciplines.
Ainsi, la fonction de l’Événement RIDEAU est justement de permettre aux artistes de donner une idée de leurs prochaines créations devant un parterre de diffuseurs, qui cherchent à établir la programmation de leurs prochaines saisons. Voyons l’événement comme un grand marché où les diffuseurs magasinent les spectacles qu’ils présenteront dans leurs salles ; de la même manière, on peut imaginer qu’en période de crise financière, les producteurs seront plus frugaux dans leur magasinage.
Il y a donc clairement une profonde réflexion à avoir à propos du rôle du théâtre Outremont dans l’écosystème du spectacle à Montréal.
« C’est inévitable, déplore M. Laferrière. Ce qui a été nommé par le Front commun pour les arts du Québec, ces coupes qu’on observe un peu partout, fait qu’il y aura moins d’artistes et de productions qui vont circuler au Québec — à moins, bien sûr, que des gestes concrets soient posés, tel que le demande le Front commun. »
« Mais en vérité, ajoute M. Laferrière, la majorité des diffuseurs réunis à RIDEAU ont déjà attaché leurs programmations pour la prochaine saison. Ils vont voir des spectacles, bien sûr, mais l’événement sert aussi à prendre le temps de se parler. L’important, c’est l’émulation entre diffuseurs, le partage des bonnes pratiques, c’est prendre du temps pour se voir tous ensemble, les artistes, les agents, les producteurs, les bailleurs de fonds, c’est précieux tout ça. Cette rencontre des arts vivants est indispensable pour justement garder ça vivant en parlant des réalités de notre milieu — le territoire québécois est si vaste, ce sont des représentants de près de 300 lieux de spectacles qui se réunissent. »
Mis sur la sellette par le Front commun pour les arts du Québec (dont fait partie RIDEAU), Mathieu Lacombe, ministre de la Culture, a confirmé aux organisateurs de l’événement sa présence à la journée de conférence, au Centre des congrès de Québec. « Malgré la position assez rigide pour le moment du ministre et du gouvernement, moi, j’y crois encore à une solution », affirme M. Laferrière. « Je crois que notre message fait son chemin, que le milieu peut espérer de meilleures conditions. Le ministre Lacombe et son cabinet ont toujours collaboré avec RIDEAU, pendant la pandémie, mais aussi sur un paquet d’autres enjeux. C’est une bonne chose qu’il soit présent à l’Événement — il ne se défile pas, en tout cas ! » L’Événement RIDEAU se déroule à Québec jusqu’au 20 février.
Le festival Phoque OFF
Né en 2015 dans les petites salles de la basse-ville de Québec, le festival Phoque OFF cherchait en quelque sorte à étirer les soirées musicales proposées à RIDEAU en mettant l’accent sur l’émergence et les tendances musicales sortant des sentiers battus (notamment par les diffuseurs pluridisciplinaires). Depuis l’inauguration de son volet « professionnel » en 2021, le « festival déjanté de musique alternative » occupe son propre créneau en parallèle à l’Événement RIDEAU, bonifiant l’offre en musique, attirant les professionnels avec la promesse de découvrir son prochain coup de cœur musical. Au volet Spectacles ouvert au grand public (présentant LaF, Valence, Billie Du Page, CHOU, Aysanabee, entre autres) se déploie un riche volet Vitrines bardé de jeunes artistes d’ici (Clara Dahlie, Angine de poitrine, Sandra Contour, etc.) et d’Europe tel que le compositeur électronique JOUBe, originaire de Lyon, et le groupe rock belge It It Anita. Réponse québécoise au M pour Montréal, le festival Phoque OFF animera le quartier Saint-Roch jusqu’au 22 février.