«Rhino»: résister à l’avenir

Du 23 au 26 octobre, la compagnie de Vancouver Out Innerspace Dance Theatre (OIS) présentera à l’Agora de la danse à Montréal, puis à Québec, sa nouvelle création : Rhino. Les créateurs Tiffany Tregarthen et David Raymond nous plongent dans un univers théâtral où des personnages se questionnent sur le passé et l’avenir, entre comédie et tragédie.
La pièce Rhino, c’est d’abord un rhinocéros, un squelette, un matador, de l’huile et un cafard qu’on découvre sur scène. Et cette recherche de personnages a été un des points de départ de la création, comme l’explique Tiffany Tregarthen. « Ce sont des personnages qui ont tous dépassé leur âge d’or. Ils sont unis par l’inquiétude qu’ils ont pour leur avenir. Tous cherchent à rendre le temps durable et possible. La diversité des personnages, qui vont des animaux aux insectes, en passant par les éléments et les objets, nous permet de relier la longévité humaine à la survie nécessaire des créatures, des concepts, des valeurs et des choses. » De plus, les relations entre les personnages ont aussi permis d’élaborer toute une dynamique sur scène, mais aussi un message et une intention claire. « Chacun d’eux a sa propre relation à la mort. Tout, sur Terre, a le droit de persister, ou du moins d’essayer. Et nos personnages s’offrent mutuellement un terrain riche pour l’alignement, le désalignement et le réalignement dans leurs efforts », poursuit la cofondatrice de la compagnie.

La lutte pour l’avenir et l’aspect irrévocable de la mort dans la pièce ont inspiré les créateurs à laisser une grande place à l’humour. « Les problèmes les plus graves des personnages n’ont peut-être pas encore de solutions viables. L’humour nous permet alors d’échapper aux sentiments de tristesse et de désespoir. La capacité de rire de nous-mêmes démontre aussi le pouvoir de la perspective, qui peut être rédempteur face à l’impuissance », explique Mme Tregarthen. Dans Rhino, la tragédie et la comédie des personnages sur scène résident dans le fait même que ceux-ci sont à la fois le problème et la solution, poursuit la chorégraphe. « C’est également ce qui est porteur d’espoir dans ce travail », dit-elle.
Cependant, la compagnie Out Innerspace ne souhaitait pas user de l’humour pour minimiser les thématiques importantes et difficiles de l’oeuvre. « La légèreté ne vise pas à diminuer la gravité de quelque chose, mais plutôt à offrir de l’espace dans nos coeurs et nos esprits pour faire face à ce qui est lourd et à utiliser cette distance avec perspective », pense la créatrice.

L’utilisation de vidéo, mais aussi des jeux de lumière a aussi été très élaborée lors de la recherche de Rhino. En effet, pour l’équipe de Out Innerspace, le contenu visuel d’une oeuvre doit se projeter dans l’espace « comme mouvement et texture ». « On utilise l’obscurité comme lieu de l’imagination et la relation entre la lumière et l’obscurité pour abstraire, marquer et comprimer le temps et l’espace en un langage de design émotionnel expressif », précise Tiffany Tregarthen. Ainsi, les créateurs cherchent à ce que l’espace scénique « influence le climat émotionnel » de l’oeuvre et des interprètes, que cela crée une nouvelle relation entre eux. « Le mouvement de la lumière et de la vidéo a fortement influencé le langage physique, et vice versa », ajoute celle qui a amorcé sa carrière à New York avec R.A.W. de Mia Michaels et Wes Veldink avant d’être formée au POZ Dance Theatre à Séoul.
Mouvements symboliques
Pour Out Innerspace, il était important que la théâtralité et la physicalité soient liées l’une à l’autre, mais aussi aux objets et à l’espace. « Chaque élément partage des principes directeurs similaires et “danse” ensemble », décrit la chorégraphe. Depuis leur oeuvre Bygones, qui a été présentée 50 fois dans 12 pays, les chorégraphes ont développé leur recherche de mouvements sur le thème des seuils. « Nous souhaitons contrer nos propres attentes, suspendre le lieu de la transformation physique afin que la danse se déploie et se découvre elle-même », explique Mme Tregarthen. Pour appuyer les réflexions des créateurs, l’utilisation des personnages a aussi joué un grand rôle. Elle a permis aux interprètes de s’immerger dans une recherche de mouvements précis qui « répond à des comportements et à des motivations individualisées ».
À travers la création de Rhino, Tiffany Tregarthen et David Raymond ont aussi voulu marquer l’importance des rituels, qui ont « une grande influence » dans leur langage chorégraphique. « Ils offrent de nombreuses possibilités pour un mouvement symbolique et une relation à l’espace, au temps, aux personnes et aux objets. Ils permettent à nos personnages d’organiser des idées d’une manière qui semble sacrée », énonce-t-elle. Enfin, la chorégraphie en duo, en groupe, que ce soit entre humains ou avec des objets, est aussi un élément important du travail de Out Innerspace. « Nous utilisons des objets comme des sorties expressives, des portails et des générateurs de mouvements », dit-elle.

Pour Tiffany Tregarthen, il est difficile d’imaginer en avance les réactions du public après avoir vu Rhino. Elle aime mieux en discuter après que l’oeuvre a pris naissance sur scène. « Je préfère laisser de l’espace au public pour qu’il trouve, sans influence, ce que nous espérons ou ce que sont nos intentions. Cela dit, nous espérons que notre travail pourra contribuer à faire aimer la danse contemporaine et la performance en direct. »