Le retour des clubs privés
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
Après de nombreuses fermetures dans les années 2000, les clubs privés reviennent en force depuis la pandémie. Ces espaces à la fois bars, lieux de cotravail et de rencontre se veulent désormais modernes et moins élitistes.
Au Club St-Denis 257 SE, impossible de manquer la photo de la reine Élisabeth II prise ici même en 1976. Après 135 ans d’existence, le précédent Club St-Denis avait fermé en 2009 en raison de la crise économique qui avait considérablement réduit son nombre de membres. Denis Lefebvre était parmi les derniers à s’y être inscrit. Grand amateur du concept, il a ouvert en 2023 un nouveau club à la même adresse. « Les clubs privés à Montréal sont aujourd’hui bien remplis et de nouvelles formules émergent », constate sa fille Alex-Ann, copropriétaire. En l’espace d’un an, le club compte déjà cent membres.
C’est au XIXe siècle que les clubs privés apparaissent au Québec, dans le sillon de la bourgeoisie anglaise. Ces lieux fermés au public ne sont accessibles qu’à leurs membres, politiciens ou grands industriels, qui s’y retrouvent pour échanger et faire des affaires. Mais si ces clubs étaient des lieux de prédilection pour les plus aisés pendant un siècle, ils avaient ces derniers temps perdu leur achalandage. Le Club 357c a ainsi fermé en 2019 à la suite de « changements des habitudes d’affaires » — l’adresse avait en outre été citée lors des audiences de la commission Charbonneau. À Québec ne subsiste depuis les années 1980 qu’un seul club privé, le Cercle de la Garnison.

Des concepts qui se démarquent
Puis il y a eu la pandémie, qui a redonné l’envie de se voir. « Les travailleurs n’ont plus de bureau mais veulent quand même se retrouver quelques fois par semaine », note Alex-Ann Lefebvre. L’effet de la pandémie est aussi indéniable pour Sandrine Balthazard, fondatrice du Parloir, ouvert en 2017 à Montréal : « Il y a un vrai regain d’intérêt pour les clubs privés. Les gens recherchent le côté communauté. »
Le nom de son établissement provient de celui que la bourgeoisie donnait à la pièce de la maison destinée à recevoir et à divertir. « La densification des villes réduit nos espaces de vie. Mon club permet donc de maintenir cette pièce, en location à l’extérieur de chez soi. C’est un parloir communautaire, explique la femme d’affaires. La pandémie a créé un désir de se retrouver, mais aussi de tisser des liens à long terme avec des gens avec qui on partage des valeurs ou intérêts. Le club privé est propice à ça, car il donne la chance de voir régulièrement le même groupe de personnes. »
Le Parloir, qui attire les collectionneurs de vin, propose également des caves privées, où chaque membre peut entreposer jusqu’à cent bouteilles. Le Club St-Denis 257 SE, quant à lui, se différencie par l’importance accordée à l’art. « Tous nos murs sont ornés d’oeuvres d’artistes locaux, indique Alex-Ann Lefebvre. C’est chargé, mais ça ouvre l’esprit créatif. »

Faire des affaires autrement
En plus d’offrir un réseau de clubs partenaires à l’étranger et d’organiser des soirées de réseautage, certaines adresses mettent à disposition une salle de sport, de golf ou un centre de bien-être. L’objectif : faire des affaires autrement. Si les clubs plus récents proposent des plateaux-repas en collaboration avec des traiteurs, les plus anciens ont en général un chef sur place — voire un sommelier, comme au Club St-James.
« Les clubs privés sont hybrides : on peut venir travailler ou socialiser, de jour comme de soir, résume Sandrine Balthazard. Certains viennent faire passer des entrevues ou négocier un contrat, d’autres partager une bonne bouteille. Le côté convivial est propice pour brasser des affaires, et le cadre moins formel qu’une salle de réunion. C’est comme ça que les gens veulent faire des affaires aujourd’hui. »
Cette volonté de s’ancrer dans des moeurs plus actuelles se voit aussi dans l’abandon des codes qui régissent ces lieux depuis des décennies. Certains clubs exigent par exemple le port du veston, ne tolèrent pas les chaussures de sport, bannissent l’usage de l’ordinateur après 18 h et encore la prise de photos.
Si ces règlements sont encore d’usage dans certains clubs, les plus récents les ont mis au rebut pour s’éloigner de l’étiquette élitiste dont ils ont souvent été affublés. « Le club privé avait mauvaise figure à cause de son côté vieillot, de son protocole guindé, pense Sandrine Balthazard. Il fallait le démocratiser et rafraîchir son image. » Cela passe notamment par l’intégration des femmes, interdites dans les clubs privés jusque dans les années 1970, avant d’y être tolérées — parfois avec une entrée séparée de celle des hommes. Le Parloir se targue ainsi de compter 30 % de femmes sur 600 membres.

Clientèle filtrée
Cependant, le profil des membres de la plupart des clubs change peu, si ce n’est le genre : on y retrouve principalement des gens du milieu des affaires, des politiciens et des personnalités publiques, qui apprécient de pouvoir venir sans se faire solliciter. Exclusivité oblige, les clubs n’ont pas pignon sur rue. On y entre avec un code ou encore via un détecteur biométrique. Un petit côté speakeasy qui permet d’assurer la discrétion.
L’abonnement se chiffre en général à 1500 $ annuellement — plus selon les services —, et une vérification des antécédents est faite pour chaque demande d’adhésion. La plupart des clubs demandent qu’un nouveau membre soit recommandé par un ancien. « Les membres sont ainsi garants les uns des autres, explique la fondatrice du Parloir. Ça filtre la clientèle pour assurer une belle cohésion. »
Sandrine Balthazard s’assure aussi d’être très présente et de mettre ses membres en relation. « Il faut entretenir sa communauté ; sinon, le club est juste un lieu avec de beaux meubles… » Le Parloir s’assure en outre de limiter sa clientèle pour que chacun « se sente VIP ». Et la demande est là ; la directrice a d’ailleurs mis en place un plan d’expansion, qui comprend une terrasse et un plus grand cellier. Une liste d’attente reçoit désormais les nouvelles demandes d’adhésion ; sauf pour les femmes, prioritaires. La fin des boys clubs ?
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