Dix incontournables de la littérature québécoise

Humoristiques, fantastiques, autobiographiques ou technologiques, les romans québécois de l’hiver interrogent le présent sur tous les tons.
Mal lunée, Jules Fournier
Diplômé de Sciences Po et de HEC Paris, vivant à San Francisco, où il travaille pour YouTube, Jules Fournier a un parcours pas banal. Spécialiste de la politique française, notamment des réalisations de Michel Rocard, qui fut premier ministre de 1988 à 1991, le trentenaire avoue qu’il ne lèverait pas le nez sur une carrière d’auteur-compositeur-interprète ou même de cinéaste. D’ici là, le petit-neveu de Claude et de Guy Fournier fait paraître un premier roman, Mal lunée, dont l’héroïne est une « booktubeuse » aux prises avec un succès qui fait rapidement d’elle une cible. Dans sa fréquentation des influenceurs et des stratégistes de contenu, est-ce que la littérature a tout à perdre ou bien tout à gagner ?
Flammarion Québec, le 19 février
Un roman au four, Marie-Sissi Labrèche
Vingt-cinq ans après Borderline, remarquable entrée en littérature, Marie-Sissi Labrèche publie son cinquième roman. « Comment demeurer un individu créateur quand on est seule à tenir maison et famille à bout de bras ? » C’est la question que pose la narratrice d’Un roman au four, une femme « mariée à un workaholic et mère d’une adolescente victime d’intimidation à la polyvalente ». Depuis son « bungalow pourri », l’héroïne affronte ses propres démons tout en réfléchissant sur la reconnaissance des écrivains, leur indépendance, financière et intellectuelle, sans oublier la tyrannie du vedettariat. Quatre ans après 225 milligrammes de moi, sur le point d’être réédité en poche, Labrèche semble n’avoir rien perdu de sa vivifiante impudeur et de son honnêteté désarmante.
Leméac, le 19 février
Antonio Pizza, Francis Juteau
Après On couche ensemble et On couche encore ensemble, deux partitions érotiques où il dialoguait amoureusement avec Alice Lacroix, Francis Juteau est de retour avec un roman humoristique qui aborde la délicate question de la porno-dépendance. À Montréal, en pleine tempête de neige, Karl livre des pizzas à une ribambelle d’affamés. « Montréal a faim. Dans de telles soirées, personne n’a envie d’aller se chercher un poulet précuit à l’épicerie. » Une fois à la maison, notre héros consomme de la porno, puis s’assure d’effacer son historique Internet. Il ne faudrait pas que son amoureuse découvre le pot aux roses. Nommer sa dépendance, la dédramatiser et apprendre à la réguler, voilà le défi qui attend Karl.
Hamac, le 11 mars
En particulier quand nous sommes plusieurs, Maggie Blot
Après Les occidentales (2010) et À l’œil nu (2017), deux recueils de poèmes publiés au Quartanier, Maggie Blot débarque au Cheval d’août avec une collection de récits où elle revisite 14 amitiés déterminantes, des « affinités électives » qui transforment à jamais, des rencontres qui se sont produites entre les années 1980 et les années 2000 à Baie-Comeau, à New York ou à Montréal. Dans une prose que l’on dit exubérante, entrelaçant tout naturellement le réel et l’imaginaire, l’autrice nous entraîne dans les « bungalows nord-côtiers de sa préadolescence ou le long de la piste cyclable bordée de prêles piquées dans le sable indigène, jusqu’aux liens marquants noués dans le bar de l’université ».
Cheval d’août, 11 mars
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Ça finit quand, toujours ?, Agnès Gruda
Après deux recueils de nouvelles et de nombreuses années comme chroniqueuse internationale à La Presse, Agnès Gruda publie un premier roman ambitieux, un pavé qui fait s’entrecroiser les destins d’une vingtaine de personnages, une fresque historique qu’elle a sûrement nourrie en puisant dans son propre arbre généalogique. L’aventure commence à l’aube des années 1950, au moment où il est permis d’espérer après la guerre une société meilleure. Dans la maternité d’un hôpital de Varsovie, deux jeunes mères vont se lier d’amitié. À partir d’elles, quatre générations d’hommes et de femmes seront dispersées aux États-Unis, en Israël et au Québec. Il y aura autant d’exils que d’individus, mais tous refuseront de couper les ponts.
Boréal, le 18 mars
Du ventre des montagnes, Fanie Demeule
Presque dix ans après Déterrer les os, où elle transposait avec beaucoup de conviction et de talent sa propre expérience de l’anorexie, Fanie Demeule publie son sixième roman, un livre que son éditeur n’hésite pas à qualifier de « page-turner d’une grande qualité littéraire ». À la suite de la mort accidentelle de sa sœur, dont elle se sent fortement coupable, Nan Sappo entreprend de gravir le mont Eien, le plus haut du Kavela, au sommet duquel se trouve une neige éblouissante dont on dit qu’elle peut rendre la vie. Lauréate en 2022 du prix Jacques-Brossard de la science-fiction et du fantastique québécois pour Highlands et Mukbang, Demeule continue ici d’explorer la porosité des frontières entre réel et imaginaire.
Québec Amérique, le 25 mars
L’homme de trop, Antoine Dion-Ortega
Satire sur la place de l’intelligence artificielle dans la création littéraire, sujet d’actualité s’il en est un, le premier roman d’Antoine Dion-Ortega a pour héros un quadragénaire qui peine à achever son premier roman. Il est permis de croire que l’auteur et le personnage ont quelques points communs. Lorsqu’une compagnie lui propose de publier sous son nom un livre écrit par une intelligence artificielle, Augustin Choinière accepte, obtient beaucoup de succès et accède à un statut enviable. En s’appropriant les codes du thriller psychologique et du récit d’anticipation, tout en se moquant un brin du milieu littéraire québécois, Dion-Ortega s’attaque au mythe de l’artiste et à la quête de la gloire immédiate.
Tête première, le 25 mars
Sirop de poteau, Francis Ouellette
Après avoir remporté le Prix littéraire des collégiens et collégiennes avec Mélasse de fantaisie, un roman où il posait un regard tendre et truculent sur le Faubourg à m’lasse de Montréal, le quartier où il a grandi, Francis Ouellette est de retour avec Sirop de poteau, un livre dans lequel il aborde l’itinérance avec autant de délicatesse. L’action se déroule en décembre 1976, alors que Frigo, « robineux lumineux », est à l’hôpital. « Tu crérais pas que le gars a vingt ans, tellement il a l’air d’avoir passé sa vie sur la corde à linge. » Les lecteurs et lectrices de L’Itinéraire reconnaîtront certains personnages, puisqu’une partie du roman a d’abord paru sous forme de feuilleton dans les pages du magazine.
VLB, le 26 mars
En explosion devant nos yeux, Dominique La Salle
À propos de Simili, paru en 2019, le collègue Christian Desmeules avait écrit que Dominique La Salle (qui publiait alors sous le nom de D. Strévez La Salle) était « habile à jongler avec les niveaux de langage et à peindre avec un réalisme un rien critique des milieux socio-économiques que tout semble séparer ». Cet hiver, l’auteur est de retour avec un troisième roman où il est question de la crise du logement, mais aussi d’alcoolisme, d’art et de révolte. Scénariste endeuillé, Antoine Sabourin est à la dérive jusqu’à ce qu’il découvre l’existence d’un campement érigé au parc Frédéric-Back. Les squatteurs vont réveiller en lui le désir de créer en arrimant le social et l’esthétique.
XYZ, 27 mars
Le temps des sucres, Martine Desjardins
Empruntant à la mythologie, au folklore et aux contes de fées, les univers imaginés par Martine Desjardins sont baroques, surréalistes, fantastiques, érotiques, exotiques, inquiétants et parfois même horrifiants. Son septième roman, Le temps des sucres, qui devrait ébranler quelques dogmes masculinistes, s’annonce aussi local qu’universel, aussi intemporel que criant d’actualité. L’action se déroule dans une forêt maudite, celle où les membres de la famille Lacerte récoltent une sève aux étranges propriétés. Quand Guillaume, le plus jeune du clan, revient au village après trente ans d’absence s’enclenchent des rituels archaïques qui vont mettre sa virilité à rude épreuve.
Alto, le 8 avril
Une version précédente de ce texte, qui mégenrait l’héroïne Nan Sappo et qui renommait erronément le roman d’Agnès Gruda en Ça finit quand, pour toujours ?, a été modifiée.