Réinvestir maintenant les imaginaires

Berirouche Feddal, «28th July 1990», 2024
Photo: Berirouche Feddal Berirouche Feddal, «28th July 1990», 2024

« Il y a un travail profond à faire pour réinvestir les imaginaires », dit Diane Gistal dans le cadre de l’exposition collective qu’elle commissarie à la Galerie d’art Stewart Hall de Pointe-Claire. Dans Afrotopos, il est en effet question de cette utopie africaine pensée par l’économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr dans son ouvrage Afrotopia, véritable référence pour celle qui est aussi la directrice et fondatrice de Nigra Iuventa, un OBNL pour la reconnaissance et la promotion de l’art contemporain africain, caribéen et diasporique avec qui la galerie collabore pour l’occasion. Celle-ci explique qu’il s’agit désormais « d’interroger ce qu’est l’utopie africaine, mais aussi de féconder, d’investir une utopie active africaine enracinée dans le réel et le vocabulaire africain ».

« Je trouve intéressant que, par essence, quand tu portes ce type de projet, ça devienne politique. Mais je ne pense pas avoir voulu décoloniser les imaginaires », précise Diane Gistal, qui insiste plutôt sur cette action « d’investir un imaginaire » pour mieux s’autoriser à rêver. En grand. De fait, dans Afrotopos, l’utopie se déploie et se matérialise de diverses et uniques manières dans les œuvres des artistes afro-descendants et africains Berirouche Feddal, Anna Binta Diallo, Marie-Danielle Duval, Damien Ajavon, Delali Cofie, Ibiyanε et Roxane Mbanga. « C’est bien de se dire qu’au Québec, on a la possibilité de présenter ce discours international, qui a des liens très concrets avec le réel québécois, canadien », indique-t-elle.

Ces « diasporas qui écrivent »

Parce que pour la commissaire, l’« afrotopie » s’écrit également en dehors de l’Afrique, notamment grâce à ces « diasporas qui écrivent ». Elle évoque, entre autres, le triptyque vidéo d’Anna Binta Diallo, où la Sénégalaise et Manitobaine aborde ses deux identités. « Il y a une négociation constante entre ses référents culturels, ses histoires, ses récits, ses archives », souligne Diane Gistal. L’« afrotopie » serait donc tout aussi passionnante à envisager avec les diasporas. « C’est se dire qu’on sort un peu de cet essentialisme, qu’il y a une pluralité de voix, de vécus, de gens qui portent l’Afrique en dehors de l’Afrique, des gens qui pensent l’Afrique à travers la nostalgie de leurs parents africains », ajoute-t-elle. C’est en particulier ce discours que propose Afrotopos.

Photo: Galerie d’art Stewart Hall Une vue de l’exposition «Afrotopos»

La figure de la grand-mère est ainsi omniprésente dans l’exposition. « C’est vraiment un hasard, qui ne l’est quasiment plus », confie Diane Gistal. Et de poursuivre : « je me suis rendu compte que penser cette contemporanéité pour les artistes, c’est un legs à leur héritage, à leur histoire. » Il s’agit aussi sans doute de se décentrer de la notion patriarcale occidentale. « Les sociétés africaines sont souvent matriarcales, et la culture et l’histoire reposent sur ces figures-là », mentionne-t-elle. Pour penser cet aujourd’hui et ce demain africain, ne faudrait-il pas observer hier ? « Peut-être que le futur est incarné par cette figure de l’arrière-grand-mère dans l’œuvre de Damien Ajavon, une des seules images d’archives qui existe de cette reine sénégalaise », relève la commissaire. On y voit l’aïeule fumant la pipe dans une posture affirmée, et « il y a quelque chose de très contemporain, de très féministe », estime-t-elle. Du passé, au présent, au futur, la temporalité est à réinventer dans Afrotopos.

Construire à partir de soi

Pour beaucoup et depuis longtemps, l’Afrique serait en outre le continent du futur, où tout est possible, puisque, dans l’imaginaire collectif occidental, l’Afrique est noyée dans son retard à rattraper. « Dans son ouvrage, Felwine Sarr dit que penser l’Afrique demain, c’est en fait ne pas penser sa coïncidence avec le temps présent », relève la commissaire. Cette rhétorique aurait, d’après elle, le travers de tout reporter au lendemain, sans avoir la possibilité d’investir le présent. « Ce qui est intéressant dans les cosmogonies ouest-africaines en particulier, c’est la question d’une non-linéarité dans laquelle les temporalités s’entrecroisent », rapporte Diane Gistal. Peut-être alors que demain, c’est aujourd’hui. Ou peut-être que demain, c’était avant-hier. « Peut-être que, pour voir l’horizon, ce n’est pas regarder haut ou loin, mais c’est regarder là. » Tout devient possible.

Au bout du compte, Afrotopos n’a pas la prétention, la volonté de dire ce qu’il faudrait déconstruire, mais qu’il faudrait construire à partir de soi. « Ça permet juste de changer la focale et de se rendre compte que tout est question de perspective et de point de vue », conclut Diane Gistal.

Afrotopos est bel et bien la démonstration que l’avenir est déjà africain et qu’il est tangible.

Afrotopos

À la Galerie d’art Stewart Hall jusqu’au 30 mars

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