Le Regroupement québécois de la danse au coeur des mouvements sociaux

Amélie Revert, Le Devoir
Collaboration spéciale
Selon la danseuse Claudia Chan Tak, il est souvent attendu des artistes de couleur qu’ils abordent leur identité sur scène, ce qui peut être un poids considérable à porter.
Photo: Moïse Marcoux-Chabot Selon la danseuse Claudia Chan Tak, il est souvent attendu des artistes de couleur qu’ils abordent leur identité sur scène, ce qui peut être un poids considérable à porter.

Ce texte fait partie du cahier spécial La danse au Québec

Précarité, violence, santé mentale, écoanxiété… malgré le manque de ressources, le Regroupement québécois de la danse (RQD) participe aux différents mouvements de défense des droits et des intérêts des artistes et des travailleurs culturels.

« Il y a tellement à faire quand on parle des changements sociaux », dit d’emblée Claudia Chan Tak, membre du CA du Regroupement québécois de la danse (RQD), artiste multidisciplinaire, commissaire indépendante et militante. Dans un contexte de transformations sociales, marqué par des mouvements pour l’équité, la justice environnementale et la santé mentale, le RQD doit donc redoubler d’efforts pour relever ces défis considérables.

L’une des difficultés majeures auxquelles le RQD fait face est, de fait, la précarité financière qui frappe l’ensemble du secteur culturel. Les coupes budgétaires successives, exacerbées par la crise économique actuelle, compliquent d’autant la mission d’accompagnement du RQD. Pour Sophie Corriveau, directrice générale et artistique de Danse-Cité et coprésidente du RQD, cette réalité est alarmante : « Une des priorités, c’est de s’assurer que les danseurs, danseuses et travailleurs culturels aient des conditions de travail qui soient décentes. » Mais vu le financement largement insuffisant, les danseurs et danseuses doivent composer avec la précarité, parfois sans filet social ni assurance-emploi. Ce manque de soutien crée une situation où même les artistes les plus établis peinent à joindre les deux bouts.

Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir La coprésidente du RQD Sophie Corriveau estime qu’une des priorités demeure de s’assurer que les danseurs, danseuses et travailleurs culturels aient des conditions de travail décentes.

Sophie Corriveau souligne par ailleurs que la solidarité est essentielle à l’établissement de solutions à long terme : « Le RQD peut agir à titre de rassembleur, mais chacun doit aussi faire sa part. » Cette notion de rassemblement prend tout son sens dans un secteur où la compétition pour des ressources limitées est de plus en plus féroce. Dans ce contexte, le programme des classes d’entraînement, qui vise à offrir aux artistes des occasions concrètes de maintenir la forme, se révèle crucial. Pourtant, ces initiatives restent circonscrites du fait de l’enveloppe budgétaire restreinte du milieu culturel. « Il est tellement populaire, parce que nécessaire, que les moyens manquent pour pouvoir l’étendre sur une saison entière », déplore Mme Corriveau.

La santé mentale au coeur des discussions

Un autre défi fondamental pour le RQD est le bien-être psychologique de ses membres. La pandémie de COVID-19 a non seulement perturbé la pratique artistique, mais a aussi amplifié les problèmes d’ordre psychique au sein de la communauté. Longtemps taboue, la santé mentale des artistes fait aujourd’hui l’objet de discussions ouvertes. « J’ai observé une bascule au moment du Stop Asian Hate, pendant la pandémie, parce que là, on a été amenés à se regrouper et à parler. Ça a été un grand réveil de prendre soin de la santé mentale et, pour moi, d’en parler avec d’autres personnes qui me ressemblent et qui vivent les mêmes choses », explique Claudia Chan Tak. Cette question touche en effet particulièrement les artistes issus de minorités, pour qui les pressions identitaires se mêlent aux attentes professionnelles. « Il est souvent attendu des artistes de couleur qu’ils abordent leur identité sur scène, ce qui peut être un poids considérable à porter », ajoute-t-elle.

Pour répondre à ces défis, des solutions innovantes ont été mises en place, telles que l’accompagnement psychologique destiné aux artistes. « Je travaille avec une compagnie de théâtre qui m’a offert des séances avec une psychologue pour évoquer les traumas liés à l’identité », confie Claudia Chan Tak.

La transformation des studios de danse en « espaces sûrs » participe également à cette dynamique. Les danseurs et danseuses peuvent désormais bénéficier d’un environnement où ils se sentent libres d’exprimer leurs émotions et de discuter de leur santé mentale. « Le studio de danse devient de plus en plus un espace où la santé mentale est prise au sérieux, et c’est une évolution positive pour le milieu », note l’artiste.

Sur tous les fronts

En plus des enjeux financiers et mentaux, l’écoresponsabilité occupe une place prépondérante dans le milieu artistique. Le RQD est donc soumis à la nécessité d’intégrer des pratiques écoresponsables tout en devant composer avec des ressources limitées. « On nous demande de prévoir des plans de développement durable, mais avec des équipes déjà en surcharge de travail, ça apporte un stress supplémentaire de ne pas avoir assez de ressources humaines pour le faire », souligne Sophie Corriveau.

L’écoresponsabilité, bien qu’essentielle, commande des investissements, et pour Claudia Chan Tak, cette réalité est particulièrement difficile à concilier avec les besoins immédiats des artistes : « Être écoresponsable exige de l’argent, et si on n’en a pas, c’est compliqué de respecter nos valeurs. » Le manque de financement dans le secteur de la danse rend, de fait, les compromis inévitables, et les priorités se tournent souvent vers le bien-être humain avant les préoccupations écologiques.

Néanmoins, malgré ces obstacles, l’art reste un puissant vecteur de sensibilisation aux enjeux environnementaux. « L’art est l’outil parfait pour discuter des sujets écologiques, mais on ne peut pas en parler si on ne les respecte pas dans notre propre pratique », fait valoir Claudia Chan Tak. La question de la manière dont les artistes peuvent conjuguer leur discipline avec des valeurs durables tout en devant composer avec des contraintes budgétaires de plus en plus strictes reste ouverte.

La solidarité est donc un des piliers sur lesquels repose le RQD, et elle se manifeste sur plusieurs plans. Lorraine Hébert, qui a été directrice générale du RQD pendant 13 ans, observe que malgré les nombreux défis sociaux et économiques, le monde de la danse fait preuve d’une résilience remarquable. « C’est un milieu qui est souvent en crise, mais qui s’adapte rapidement », explique-t-elle. Cette capacité d’adaptation repose en grande partie sur la solidarité entre les artistes, qui se soutiennent mutuellement dans les moments difficiles.

En effet, la diversité croissante des artistes et de leurs pratiques pose des défis supplémentaires, mais elle renforce également les liens au sein de la communauté. Claudia Chan Tak évoque la Journée internationale de la danse, où elle a pris la parole en tant que femme asiatique pour aborder des sujets politiques concrets liés aux coupes financières. « C’est le genre de changements que je trouve vraiment importants, et c’est pour ces raisons que j’ai eu envie de m’impliquer au RQD », indique-t-elle.

Cette solidarité est d’autant plus déterminante dans un contexte où la compétition pour les ressources s’intensifie. « On est plusieurs à se battre pour une petite pointe de tarte », regrette Claudia Chan Tak. Et de poursuivre : « Cette compétition-là fait que c’est souvent les personnes minorisées qui vont en pâtir. »

En dépit de ces défis majeurs, le RQD continue de jouer un rôle essentiel dans l’accompagnement des artistes face aux grands mouvements sociaux. Si les avancées peuvent parfois sembler lentes, elles sont néanmoins bien réelles. « Il y a des combats qui se gagnent, des plafonds de verre et de bambou qui sont brisés », lance avec enthousiasme Claudia Chan Tak, qui croit que la danse, avec son langage universel du corps, reste un moyen privilégié de maintenir une relation à l’humain. Comme elle le conclut avec justesse : « Si on est connecté à l’humain, on va comprendre l’importance des enjeux sociaux et ce qu’on doit changer. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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