Réalités, contraintes et fantasmes des véhicules sans chauffeur

La ligne de bus autonome AB1, inaugurée en 2023, à Édimbourg, n’a pas eu le succès attendu.
Photo: Andy Buchanan Agence France-Presse La ligne de bus autonome AB1, inaugurée en 2023, à Édimbourg, n’a pas eu le succès attendu.

Adieu, ligne AB1. Le premier autobus autonome du monde sera retiré de la route à Édimbourg le vendredi 14 février, moins de deux ans après sa mise en service. Le grand bus dit sans chauffeur assurait la liaison entre la zone commerciale d’Edinburgh Park et un stationnement incitatif situé au nord du pont autoroutier du Forth, en périphérie de la capitale écossaise.

L’euthanasie du véhicule expérimental s’explique par l’assèchement des fonds de recherche, mais aussi et surtout parce que l’expérience pratique n’a pas tenu les promesses faites lors de l’inauguration du circuit en mai 2023.

Le parcours d’une vingtaine de kilomètres ne proposait que trois arrêts, et les 10 000 passagers attendus ont boudé l’offre de transport en commun jugée peu alléchante. Des problèmes techniques ont en plus forcé les chauffeurs, humains trop humains, toujours présents à bord par mesure de sécurité, à constamment prendre le relais de la machine roulante et à assurer ainsi le service ininterrompu sur l’un des quatre autobus du circuit. Dans les faits, les véhicules supposément autonomes ne l’étaient à peu près jamais depuis environ un an.

« Nous sommes fiers d’avoir réalisé une première mondiale avec ce service démontrant le potentiel de la technologie de conduite autonome sur un horaire enregistré réel dans l’est de l’Écosse », a déclaré la firme Stagecoach en annonçant la fin du projet AB1 (pour Autonomous Bus 1). L’entreprise n’a pas réagi à la demande d’entrevue du Devoir. « La fréquentation des passagers sur la ligne AB1 […] n’ayant pas répondu aux attentes, celle-ci ne sera donc pas directement remplacée, mais l’essai a considérablement fait progresser la compréhension des exigences opérationnelles et réglementaires pour les services autonomes, fournissant ainsi ce qui était espéré de ce projet pilote », dit encore le communiqué.

L’essai reste remarquable et laisse entrevoir un avenir probablement assez rapproché où beaucoup de véhicules se déplaceront sur route ou rails sans pilotage humain. Ces machines sans conducteur pourraient aider à réduire la congestion routière, les accidents sur la route et le coût du transport de personnes ou de marchandises.

L’écrivain français Jean Giono (1895-1970), grand pourfendeur de l’aliénation par la technique, décrivait la voiture dans un texte de 1963 comme « une machine qui aime se balader et se sert de l’homme à cette fin ». La bella macchina n’aura bientôt même plus besoin de nous pour se promener…

Les navettes du REM de la région métropolitaine de Montréal sont autonomes, tout comme les rames de métro de plusieurs villes du monde. Des voitures capables de se piloter toutes seules, sans chauffeur, circulent déjà.

Deux approches

Deux types de solutions se développent en utilisant des équipements connectés, explique Liam Paull, professeur en informatique et recherche opérationnelle à l’Université de Montréal. L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle important dans les deux cas.

La première solution allie la carte et le territoire. Munis de caméras, de laser et de radars, les véhicules sans chauffeur circulent alors dans une zone (un quartier, par exemple) en reconnaissant les repères cartographiés. Des flottes de taxis utilisant cette solution donnent déjà du service dans plusieurs villes. Waymo, filiale d’Alphabet, la maison mère de Google, fait rouler ses véhicules à Phoenix, en Arizona, et à San Francisco, en Californie. Baidu fonctionne de la même façon dans plusieurs villes chinoises.

La compagnie Tesla table plutôt sur l’apprentissage progressif. Cette seconde option s’appuie sur les données énormes fournies par les voitures avec chauffeurs en circulation. Les informations traitées permettent aux véhicules autonomes de réagir quand se présente une situation déjà expérimentée par les autres voitures.

« Je ne suis pas convaincu que l’approche basée complètement sur les données va être capable d’obtenir les types de garanties que nous voulons du point de vue de la sécurité », note M. Paul. Ce spécialiste de la robotique a développé ses premières recherches sur les véhicules autonomes en tant que chercheur au Massachusetts Institute of Technology. Il dirige maintenant le REAL, le Laboratoire de robotique et d’IA intégrative de Montréal.

Automatisation ou autonomie ?

Comme beaucoup de coins du monde, le Québec ne permet pas encore les robots-taxis. Le marché pourrait valoir plus de 2000 milliards de dollars d’ici 2040, selon la banque UBS, avec la Chine potentiellement en tête. Pour l’instant, les énormes investissements dans la recherche et le développement technologique n’ont pas encore conduit à de miraculeux profits.

Pour le reste, il faut plutôt parler de véhicules automatisés (de niveau 2 ou de quasi-niveau 3, dans le jargon) plutôt qu’autonomes. Ils sont capables de prendre le contrôle de leur propre volant, mais leur conducteur doit rester aux aguets, sur le siège avant.

Tesla offre cette possibilité. Ses modèles, toujours électriques, étaient encore les plus vendus au Québec en 2024, mais l’implication politique aux États-Unis de son dirigeant, Elon Musk, pourrait nuire à sa réputation et à ses ventes.

2000 milliards
C’est la somme, en dollars, que pourrait valoir le marché des robots-taxis d’ici 2040, selon la banque UBS.

Justin Letellier, qui vend des voitures Tesla à Saint-Bruno-de-Montarville, utilise fréquemment la fonction autopilote de son véhicule. « Mon auto est très agréable à conduire, mais quand je reviens du travail, sur l’autoroute, j’utilise cette fonction pratique et reposante », explique le jeune homme rencontré au dernier Salon de l’auto de Montréal. Il affirme que deux de ses grands-parents, âgés de 71 et 72 ans, ont été charmés par la navigation avec autopilote. Selon Tesla, cette fonctionnalité permet notamment de suggérer des changements de voie pour optimiser l’itinéraire de la voiture, mais aussi d’assister la conduite humaine sur des rues plus étroites et complexes. Les dernières modifications présentées au début janvier au Consumer Electronics Show de Las Vegas permettent à l’IA de s’orienter dans le brouillard et de suivre les signes vitaux des passagers.

Mais les bogues existent. Une vidéo captée l’été dernier à Phoenix par la caméra corporelle d’un policier le montre en train d’appréhender un taxi Waymo One qui vient de commettre une infraction en roulant en sens inverse. L’agent s’approche, découvre l’absence de chauffeur, puis engage la conversation avec un humain en télétravail.

Les véhicules autonomes exigent aussi des routes en très bon état, ne serait-ce qu’avec des marquages précis au sol. En Écosse, la signalisation routière le long du circuit AB1 avait été refaite à neuf pour permettre aux caméras embarquées de bien la lire. On image le casse-tête au Québec, où la neige recouvre une partie de l’année des chaussées souvent très dégradées…

Mesurer l’autonomie

La SAE International (autrefois la Society of Automotive Engineers), qui regroupe des dizaines de milliers d’ingénieurs d’une centaine de pays, a défini une échelle de classification des niveaux d’autonomie des véhicules.

Au niveau 0, tout est manuel, et l’automatisation n’existe pas. Vient ensuite la conduite par contrôle commun, par exemple avec un régulateur de vitesse (niveau 1) ; puis la conduite sans les mains ni les pieds, par exemple pour se stationner (niveau 2) ; sans le regard, notamment sur la route (niveau 3) ; sans l’attention, mais avec la surveillance humaine pour activer ou désactiver le système (niveau 4) ; et sans présence humaine (niveau 5).

Aucun véhicule autonome de niveau 4 ou 5 n’est actuellement en vente libre ou en circulation au Québec. Des modifications apportées au Code de la sécurité routière en 2018 permettent la mise en œuvre de projets pilotes visant à expérimenter de nouveaux moyens de transport et à encadrer la circulation de ce nouveau type de véhicules. La durée maximale du projet pilote est de cinq ans, et il peut être prolongé pour une période d’au plus deux ans.

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