Quel bilan tirer des 10 premiers jours de la campagne électorale ontarienne ?

Le 27 février prochain, les Ontariens iront aux urnes dans le cadre d’élections générales anticipées qu’a déclenchées le premier ministre Doug Ford, en quête d’un mandat renouvelé face à la menace des tarifs douaniers américains. Retour sur l’actualité qui a marqué la dernière semaine.
Le sursis de 30 jours obtenu sur l’application de tarifs douaniers par les États-Unis a changé la donne, même si Doug Ford garde son chapeau de « Capitaine Canada » et que les oppositions peinent à se frayer une place dans le débat.
« Dans les derniers jours de campagne, on a vu le discours changer. On est revenu à des sujets plus communs, comme la crise du logement, le coût de la vie, la santé et l’éducation — en particulier du côté des oppositions, qui veulent montrer que le bilan de Ford n’est pas bon », estime Stéphanie Chouinard, professeure de science politique au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s.
Mais la stratégie du premier ministre sortant demeure la même : montrer son leadership sur la question des tarifs américains grâce à sa présence dans les médias. Il se rendra d’ailleurs à Washington la semaine prochaine, en compagnie de quelques maires canadiens, pour discuter du dossier. « Ford a avantage à garder les yeux des ontariens rivés sur cet enjeu. Ça a pris beaucoup de place, et son leadership a été remarqué plutôt que de parler du bilan et des enjeux plus terre à terre. C’est de l’oxygène que les autres partis n’auront pas », juge Mme Chouinard.
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Peter Graefe, professeur associé en science politique à l’Université McMaster, note que la campagne électorale actuelle est peu visible à plusieurs égards. « Les gens sont encore fixés sur ce qui se passe au fédéral et aux États-Unis », et les partis d’opposition peinent à se faire entendre, dit-il.
D’autres enjeux s’invitent
Jeudi, les cheffes des partis d’opposition ontariens ont accusé Doug Ford d’être en partie responsable des actions de deux anciens employés politiques du gouvernement qui auraient utilisé leurs contacts dans un stratagème de rezonage de terrains de la ceinture de verdure, une vaste aire protégée entourant le sud de la province.
« Ça ramène l’enjeu [de la ceinture de verdure] dans la campagne à un moment où il voulait l’éviter » en déclenchant les élections avant la sortie du rapport de la Gendarmerie royale du Canada, qui enquête sur le dossier depuis octobre 2023, explique la professeure Chouinard.
S’ils désirent arracher des votes, les partis d’opposition doivent diriger l’attention des électeurs sur d’autres sujets que celui des tarifs douaniers, à propos duquel M. Ford est bien préparé : c’est une question de stratégie, estime le professeur Graefe. « C’est important. Sinon, c’est Doug Ford qui va gagner et bien paraître, même si les gens ne sont pas si impressionnés par son bilan et qu’il reste moins populaire que son propre parti politique dans les sondages. »
La cheffe du Nouveau Parti démocratique de l’Ontario, Marit Stiles, s’est engagée à mettre fin aux campements de sans-abri dans la province en construisant davantage de logements. Rappelons que les conservateurs, qui ont fait campagne en 2022 en promettant de construire 1,5 million de logements d’ici 2031, n’en ont mis en chantier que 89 297 en 2023, soit 7 % de moins que l’année précédente.
La cheffe du Parti libéral de l’Ontario, Bonnie Crombie, s’est engagée à doter tous les Ontariens d’un médecin de famille, une promesse qu’avait faite le Parti progressiste-conservateur il y a sept ans. À l’heure actuelle, l’Association médicale de l’Ontario estime que 2,5 millions de personnes dans la province n’ont pas accès à un omnipraticien. « Il y a un certain niveau de scepticisme avant qu’il y ait un plan [financier] détaillé », explique Mme Chouinard.
Toutefois, l’élément de plateforme électorale qui a soulevé le plus d’attention cette semaine est l’engagement libéral de doubler le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, le POSPH. « C’est surprenant, puisque c’est une promesse du NPD depuis des années », rappelle Mme Chouinard. Et il y a peut-être là une tentative libérale d’aller chercher certains électeurs néodémocrates, estime M. Graefe.
Selon lui, les 10 prochains jours de campagne et les débats des chefs seront déterminants : ils pourraient prouver que l’un des partis d’opposition peut tenir tête aux progressistes-conservateurs et insuffler un vent de changement à l’Ontario. « Le noyau dur des conservateurs est d’entre 30 à 33 % de l’électorat, mais ils ont en ce moment 40 % dans les sondages », illustre le professeur Graefe, qui note cependant que les cheffes de l’opposition demeurent peu connues des électeurs ontariens.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.