Quel accueil pour le Guide Michelin au Québec?
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
Après Vancouver et Toronto en 2022, voilà que tout le Québec fera son entrée dans le réputé Guide Michelin au printemps 2025. Entre réjouissances et réticences, cela pourrait-il réellement servir de vitrine pour la Belle Province à l’international ?
Le Guide Michelin est créé en 1900 en France par les frères André et Édouard Michelin, fondateurs des pneus du même nom onze ans plus tôt. Leur idée de départ était de concevoir un livret de bonnes adresses pour encourager les Français à prendre la route des vacances et, par conséquent, à acheter des pneus.
Rapidement, il devient une référence culinaire. Dès 1904, une édition du Guide paraît en Belgique. L’Allemagne, l’Espagne et le Portugal y font leur entrée en 1910. Puis, en 1933, le rôle d’inspecteur est mis en place. De façon anonyme, ils parcourent l’Europe chaque année pour déterminer quels établissements méritent, selon eux, une, deux ou trois étoiles. Il faudra toutefois attendre 2005 pour le Guide Michelin sorte de l’Europe et qu’il fasse son arrivée à New York. Il est désormais présent dans 46 pays. « Ça fait longtemps que le Guide Michelin a le Québec dans sa mire », explique Geneviève Cantin, présidente-directrice générale de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec (AITQ), dont la mission est entre autres de promouvoir le Québec à l’extérieur de la province.
Vent de changement
Étant donné la réputation du Guide Michelin dans le monde, l’AITQ et ses partenaires, comme Tourisme Montréal et Destination Québec Cité ont signé une entente sur trois ans pour promouvoir et commercialiser le Guide Michelin sur le territoire. « Des chiffres spéculatifs circulent à l’heure actuelle dans certains médias, mais notre entente avec Michelin prévoit une clause claire sur la confidentialité des sommes prévues pour ce partenariat conjoint de promotion et commercialisation », précise Flore Bouchon, gestionnaire des communications et des affaires publiques à l’AITQ.
Avant d’investir dans une stratégie de marketing, l’AITQ a consulté les personnes concernées, notamment les restaurateurs. « Lors de l’assemblée générale annuelle de La Table ronde [un collectif regroupant 168 restaurants gastronomiques indépendants provenant de 37 villes au Québec], 64 % des membres présents ont voté pour la venue du Guide. »
Dans la mêlée, le chef et copropriétaire de Toqué !, Normand Laprise, est dorénavant ouvert à l’idée de voir le Guide Michelin arriver au Québec plutôt qu’à Montréal ou dans la capitale nationale seulement. « Avant, en Europe, je voyais juste le côté ostentatoire des grandes maisons, à l’époque des gants blancs, confie-t-il. S’ils nous évaluaient selon les critères européens, ça ne passerait pas. » À son avis, s’il y a un point en commun entre les restaurants d’ici, petits et grands, c’est la convivialité. « On est nés avec ça, ça fait partie de notre essence », ajoute-t-il.
Dans les dernières années, le Guide Michelin a évolué et a élargi sa vision de la gastronomie. Depuis 1997, la reconnaissance Bib gourmand y est apparue, soit de bonnes adresses proposant un excellent rapport qualité-prix. En 2018, lorsque le Guide fait son entrée en Thaïlande, le tout petit restaurant de la reine de l’omelette au crabe à Bangkok, Jay Fai, a reçu une étoile. Plus récemment, dans la première édition du Guide Michelin au Mexique dévoilé l’automne dernier, la Taquería El Califa de León, un comptoir à tacos à Mexico, a aussi obtenu une étoile. Nous sommes très loin des nappes blanches et bien plus près de la culture culinaire locale, au grand bonheur des voyageurs qui aiment butiner d’une étoile à l’autre.
Briller, oui, mais pas à n’importe quel prix
Au-delà des étoiles, une référence comme le Guide Michelin est une bonne nouvelle, selon différents acteurs de l’industrie touristique. Geneviève Cantin rappelle que le tourisme, y compris le tourisme gourmand, est un levier important pour le gouvernement du Québec. « Ce n’est pas une dépense, c’est une source de revenu, d’argent frais, souligne-t-elle. Chaque dollar investi entraîne des retombées économiques considérables. » Selon les données du ministère du Tourisme, les entrées de devises étrangères provenant de ce secteur en 2022 s’élevaient à 2,5 milliards de dollars. « Nos marchés cibles hors Canada sont le nord-est des États-Unis et la France, qui connaissent déjà très bien le Guide Michelin », précise-t-elle.
Clarah Germain, directrice de l’expérience-invité des hôtels Germain, qui possèdent sept établissements au Québec, croit aussi aux effets bénéfiques du guide pour l’industrie touristique. « Pour faire rayonner le Québec sur la scène internationale, et pour le tourisme en général, c’est un très bon outil. » Elle craint toutefois la pression que cela peut exercer sur les chefs en quête absolue d’étoiles. « Comme dit mon mari [Matthew Swift, chef du restaurant terre-neuvien Terre, à St. John’s], il ne faut pas oublier qu’on reçoit à souper comme métier, ajoute-t-elle. Le Guide Michelin ne doit pas nous enlever le plaisir de cuisiner et d’accueillir nos clients dans la joie. »
De passage récemment au Champlain du Fairmont Le Château Frontenac pour un repas gastronomique présenté par La Vie agricole, le chef français Marc Veyrat demeure amer envers le Guide Michelin. « J’espère que vous [les chefs] en recevrez tous [des étoiles], parce que vous êtes admirables, et vous le méritez. Mais vous allez vous faire escroquer sans vous en rendre compte. »
Triple étoilé à trois reprises, lorsque son restaurant La Maison des Bois de Manigod, en Haute-Savoie, perd une étoile en 2019, il l’accepte difficilement. Croyant être victime d’une erreur d’appréciation des inspecteurs lors de leur évaluation, il va même traîner le Guide Michelin en justice. Mais il perd son procès et refuse de faire partie du Guide depuis.
Pour conserver le caractère unique de la gastronomie québécoise, et la santé mentale des équipes, Normand Laprise prône l’authenticité. « Je ne changerai pas mon restaurant pour plaire à Michelin, précise-t-il. On va continuer à faire ce qu’on fait avec passion depuis près de 32 ans. » Il est toutefois conscient de l’effet que cela peut avoir sur d’autres restaurateurs, particulièrement les plus jeunes.
Étoile ou pas, la gastronomie québécoise est extraordinaire, et elle fait déjà briller ce que nous faisons de mieux : recevoir dans la joie. Ne l’oublions pas.
Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.