Québec rabaissera ses cibles de remise en état des cégeps

Plusieurs cégeps voient leur bâtiments se dégrader, comme c'est le cas du cégep de Saint-Laurent, à Montréal, qui a dû fermer temporairement son pavillon B.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Plusieurs cégeps voient leur bâtiments se dégrader, comme c'est le cas du cégep de Saint-Laurent, à Montréal, qui a dû fermer temporairement son pavillon B.

Québec révisera à la baisse sa cible de doubler d’ici l’an prochain la part des infrastructures collégiales en bon état dans la province, a appris Le Devoir. Plusieurs actions se mettent d’ailleurs en branle pour limiter les dépassements de coûts liés aux projets d’entretien et d’agrandissement des cégeps.

En 2021, le gouvernement s’est donné comme cible d’atteindre une part de 70 % des infrastructures collégiales considérées comme étant dans un état satisfaisant d’ici le 31 mars 2026. Or, cette proportion a plutôt diminué depuis, passant de 49 % en 2022 à 35 % l’an dernier, laissant 65 % des bâtiments du réseau en mauvais état.

En mai dernier, dans un rapport dévastateur, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, avait d’ailleurs dénoncé le manque de financement destiné à la mise à niveau des cégeps, dont les immeubles accusent un déficit d’entretien évalué par l’État à 700,5 millions de dollars. Elle avait alors formulé six recommandations à l’intention du ministère de l’Enseignement supérieur, auxquelles celui-ci a depuis répondu par un plan d’action dont Le Devoir a obtenu copie en vertu d’une demande d’accès à l’information.

La première action inscrite à ce plan gouvernemental est de « déterminer de nouvelles cibles » concernant la remise en état des cégeps de la province qui, convient la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, seront moins audacieuses que celles qui existent en ce moment.

« Je te mentirais si je te disais que cette cible sera maintenue telle quelle, parce qu’on sait qu’au cours des deux dernières années, le contexte économique nous a poussés à faire une série de changements, à bonifier ou à améliorer certains processus », souligne l’élue en entrevue au Devoir. Il est toutefois « beaucoup trop tôt » pour savoir précisément quels seront le nouvel échéancier et le pourcentage cible de bâtiments collégiaux en bon état que déterminera Québec, ajoute-t-elle. « Je suis en train d’évaluer tout ça avec le ministère. »

Ces nouvelles cibles, précise le plan d’action, se baseront sur « une planification des travaux qui tient compte des capacités opérationnelles et financières des cégeps et du gouvernement », qui ont respectivement écopé de la hausse des coûts de construction et d’un déficit record de 11 milliards de dollars. Rappelons qu’en 2020, le gouvernement s’était d’abord donné comme cible de ramener à 80 % la proportion des bâtiments des cégeps dans un état satisfaisant d’ici 2025, avant de la ramener à 70 % l’année suivante.

« La révision de la cible à la baisse, si ça se concrétise, c’est préoccupant. Parce que ce qui est alarmant derrière cette cible, c’est l’état des bâtiments des cégeps qui continue de se détériorer », a réagi au Devoir la présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, Marie Montpetit.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est que les bâtiments continuent de vieillir. Puis le sous-financement chronique des infrastructures rend vraiment la situation intenable présentement dans les cégeps », poursuit Mme Montpetit, qui déplore que ce plan d’action ne prévoie pas un rehaussement du financement accordé à l’entretien du réseau collégial.

Prévenir les dépassements de coûts

Ce plan ministériel prévoit aussi l’utilisation d’outils visant à mieux planifier les prix des projets d’infrastructure soumis par des cégeps afin d’éviter que ceux-ci grimpent en cours de route.

Pour ce faire, il importe d’uniformiser les pratiques des différents établissements dans la planification budgétaire des projets qu’ils soumettent au gouvernement, en établissant des balises claires, évoque Pascale Déry. « Ce dont on se rend compte depuis que les projets majeurs se multiplient dans le réseau collégial, c’est un peu que chacun soumet un projet à sa façon », constate la ministre. Certains établissements vont ainsi oublier de tenir compte dans leur évaluation de « l’indexation des coûts de construction pour les cinq prochaines années » ou encore des « taxes » qui seront déboursées dans le cadre de l’entretien ou de l’agrandissement d’un immeuble.

Résultat : la facture explose en cours de route, dit Mme Déry. « Je me suis retrouvée avec des projets dont les coûts ont doublé, même triplé », déplore-t-elle. L’élue espère éviter que de telles situations se reproduisent en élaborant une « feuille de route » à l’intention des cégeps pour la planification financière de leurs projets d’infrastructure.

Or, le coût de réalisation de projets grimpe souvent parce que ceux-ci tardent à obtenir le financement requis par Québec, réplique Mme Montpetit. Entre-temps, les bâtiments continuent de se dégrader et les coûts de construction augmentent. « Il y a un enjeu de saine gestion des finances publiques du gouvernement dans le fait qu’il retarde des investissements dans des bâtiments qui en ont bien besoin », plaide-t-elle.

Éviter des interruptions de services

Le ministère de l’Enseignement supérieur prévoit d’autre part de créer un « cadre d’analyse spécifique » des projets qui lui sont soumis afin que ceux qui visent à éviter des « interruptions de services » dans des cégeps soient rapidement traités par l’État.

« Est-ce qu’on doit mieux évaluer les besoins pour éviter des interruptions de service ? La réponse, c’est oui. Pour moi, ces enjeux-là, c’est primordial. Ça va toujours être la priorité, la santé et la sécurité des étudiants et du personnel sur les campus », assure Pascale Déry. Elle donne l’exemple du cégep de Saint-Laurent, dont un pavillon a été fermé l’an dernier en raison de son piètre état. « Ce n’est pas vrai qu’on va lésiner sur les travaux d’entretien urgents qu’on a à faire sur certains collèges », affirme la ministre.

Les cégeps dont les projets ne sont pas urgents devront toutefois faire preuve de patience, prévient Mme Déry. « Le rattrapage est tellement énorme que, à un moment donné, on ne peut pas tout faire en même temps. Les cégeps ont été bâtis en même temps, donc tout le monde arrive avec des projets d’infrastructure majeurs », souligne-t-elle.

Ainsi, même si les enveloppes vouées aux infrastructures collégiales ont été bonifiées dans les dernières années, le rattrapage à faire demeure « énorme », constate la ministre.

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