À Québec, le maire Bruno Marchand ne compte pas changer de cap

Après deux ans et demi au pouvoir et avec des élections à l’horizon, le maire de Québec, Bruno Marchand, n’entend pas changer de cap ni gouverner au gré de l’opinion. Convaincu que la capitale « fonce dans le mur » si elle s’enlise dans le statu quo, il persiste et signe, persuadé que les changements qu’il sème porteront leurs fruits à terme.
Depuis son élection, Bruno Marchand n’a jamais caché son ambition de transformer une capitale longtemps acquise à l’automobile. Pistes cyclables, rues à sens unique, piétonnisation et promotion du transport collectif : la mobilité de Québec se modifie à grande vitesse, quitte à chambouler des habitudes et à polariser la population.
Des vents contraires soufflent pourtant fort contre les actions de son administration. Un sondage Léger-Le Journal de Québec paru mardi dresse les portraits d’une population contente à 64 % de l’état de sa cité et d’un maire qui peine à récolter les dividendes de cette relative satisfaction. Après deux ans et demi au gouvernail de la capitale, Bruno Marchand divise : il est fort de 46 % d’appui, mais est aussi boudé par 44 % de l’électorat.
« Est-ce que tout politicien aimerait être à 80 % ? La réponse, c’est oui, admet-il. En même temps, il faut être conséquent : nous avons décidé de porter une politique courageuse et de prendre des décisions qui sont bonnes pour la ville maintenant, oui, mais qui le seront surtout à moyen et long terme. »
Moi, je ne fais pas la guerre à l’auto : je fais la guerre à la congestion
Dans l’opposition, plusieurs imputent cette polarisation au dogmatisme d’un maire certain que la vertu loge dans son camp. Le principal intéressé s’en défend et explique que c’est la nécessité et non pas un quelconque fanatisme qui dicte sa politique.
Québec s’attend, donne-t-il en exemple, à accueillir 100 000 déplacements de plus d’ici 2040 — une prévision modérée à la lueur de la croissance observée au cours des trois dernières années, qui ont déjà vu près de 40 000 personnes s’établir dans la capitale. « Les chiffres démontrent que si nous ne faisons rien, c’est la catastrophe en termes de mobilité, souligne le maire Marchand. Si nous ne prenons pas les bonnes décisions maintenant, la congestion augmente, augmente, augmente, puis pouf !, les gens finissent par se dire que ce n’est plus vivable à Québec. »
« Moi, je ne fais pas la guerre à l’auto : je fais la guerre à la congestion », fait-il valoir.

Lutter contre la « peur du changement »
Une fois l’opinion aussi campée par rapport à une personnalité politique, cette dernière devient-elle le principal obstacle aux changements qu’elle souhaite insuffler ? Bruno Marchand refuse de le croire. « Je suis polarisant en rien dans mon attitude. Je pense à ce qui s’est vécu en politique ici et ailleurs : je ne méprise pas les opposants, je ne les traite pas de tous les noms, je ne suis pas aigri, bourru contre les gens qui ne pensent pas comme moi. »
« Ç’aurait été quelqu’un d’autre, ç’aurait été pareil, souligne-t-il. C’est l’objet qui est en cause [plutôt que la personne]. Alors, c’est sûr qu’à proposer ce type d’objets là, tu deviens caricaturé, pour certains, comme étant celui “qui veut changer les choses”. Je ne le prends pas personnel, au sens où les gens — certaines personnes — ont peur du changement. Et c’est normal. »
Une crainte nourrie, selon lui, par certaines radios — « pour ne pas dire une », précise-t-il — qui l’accusent de vouloir dicter à la population de Québec comment elle doit vivre sa vie. « Je n’ai jamais voulu gérer la vie des gens. J’ai juste dit : “On va vous offrir des options.” Puis, si vous avez trois voitures, vous pouvez passer à deux parce que c’est votre choix et parce qu’il y a des services de transport collectif intéressants. »
La frange mécontente est aussi la plus bruyante, maintient-il. « Je ne blâme pas les médias, mais je sais qu’un article sur du monde heureux, ce n’est pas lu. Le commerçant qui a fait un bon chiffre d’affaires cet été parce que nous avons piétonnisé le Vieux-Québec et qu’il a pu agrandir sa terrasse, il ne sort pas dans la rue pour crier : “J’ai 100 000 $ de plus dans mes poches, merci, la Ville !” »
« Deux visions » pour 2025
À Québec, les camps fourbissent déjà leurs armes en prévision de la prochaine campagne électorale municipale. Le sondage Léger plaçait Bruno Marchand au coude-à-coude avec l’ancien ministre libéral Sam Hamad, candidat pressenti à la mairie, qui entretient tant bien que mal le flou sur ses intentions.
À l’évocation de cet adversaire potentiel, le visage du maire Marchand se fend d’un large sourire. « Ça va être deux visions de la Ville » qui vont s’affronter, dit-il à propos d’un rival qu’il dépeint déjà en point de presse comme un homme du passé.
Peu lui importe si ses adversaires comptent les nuits d’ici les prochaines élections municipales, Bruno Marchand refuse de jouer dans un concours de popularité. « Nous n’allons pas vivre une année électorale, parce que ce serait tordre la capacité de faire avancer la Ville. Ça voudrait dire assujettir toute décision à sa popularité, et je ne veux pas être ce politicien-là. C’est facile de surfer sur la tendance : à ce compte-là, j’aurais mis fin au tramway. »
À propos de ce dossier, que Bruno Marchand a défendu bec et ongles avant que le gouvernement provincial ne lui en retire la gestion, le maire fait aujourd’hui acte de foi.
« Ce dossier-là, présentement, il reste spéculatif. La seule garantie que nous avons, c’est la parole publique du premier ministre. Je crois qu’il est sincère, je crois qu’il le veut parce qu’il me l’a dit dans le blanc des yeux. Il veut y aller, il veut mettre la Caisse [de dépôt et placement] dans le coup, fine. Nous, ce que nous voulons, c’est la réalisation [du projet], pas [en récolter] le crédit. »
Accusé d’intransigeance par ses détracteurs, Bruno Marchand dit se remettre en question au quotidien pour éviter le piège de croire en sa propre infaillibilité. Un élément ne fait cependant aucun doute : à 14 mois du rendez-vous électoral de novembre 2025, il affiche la confiance d’un homme convaincu qu’entre les « deux visions » de Québec qui se profilent, c’est la sienne la meilleure.