Qu’est devenue la consommation type d’un Québécois en 25 ans?

Les véhicules vendus sont de plus en plus gros, et au chapitre de l’habitation, les Québécois s’éparpillent de plus en plus.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Les véhicules vendus sont de plus en plus gros, et au chapitre de l’habitation, les Québécois s’éparpillent de plus en plus.

Déjà 25 ans depuis l’an 2000. Le Devoir replonge dans un quart de siècle jalonné par des événements marquants et de nouvelles tendances qui façonnent encore notre société. Dans cet article : comment s’est transformé le profil de consommation typique des Québécois ?

Aux petites voitures ont succédé les VUS. L’habitude de voyager en avion gagne en altitude. Dans les assiettes, le porc s’est changé en poulet. Les vêtements de qualité se font plus rares. Le numérique a rendu possible une nouvelle économie de partage, mais aussi le déploiement d’une hyperconsommation toujours à portée de pouce.

De 2000 à 2022, le nombre de véhicules légers par 10 habitants est passé de 4,7 à 5,8 au Québec (+23 %). Même dans la région de Montréal — où sont apparus des trains de banlieue, des stations de métro et des pistes cyclables —, le ménage moyen ne possède pas moins d’automobiles qu’au début des années 2000. Toujours dans la région métropolitaine, la fraction des déplacements quotidiens réalisés en véhicule automobile se maintient autour de 65 %.

Également, les véhicules vendus sont de plus en plus gros. En 2000, on vendait au Québec deux fois plus de voitures que de camions (une catégorie qui comprend les fourgonnettes, les VUS et les camionnettes). Deux décennies et demie plus tard, la tendance s’est inversée : les concessionnaires vendent quatre fois plus de camions que de voitures. Les Toyota Yaris, Hyundai Accent, Honda Fit et Ford Fiesta ne sont plus mises en vente.

En parallèle, un nouveau cocktail de mobilité devient possible — à Montréal, du moins. « Je suis membre de Communauto, je suis membre de Bixi, j’ai une carte Opus, et on possède une voiture électrique pour notre famille de six », illustre l’entrepreneuse en mobilité électrique Sarah Houde, coprésidente du Groupe consultatif sur la carboneutralité, qui conseille le gouvernement fédéral. Il y a quelques années, c’est à bord d’un gros véhicule à sept places que sa famille se déplaçait.

Au chapitre de l’habitation, les Québécois s’éparpillent de plus en plus. Entre le début du siècle et 2021, la superficie moyenne par logement est passée de 112 mètres carrés (m2) à 133 m2 — une augmentation de près de 20 %. Durant la même période, le nombre de logements par 1000 habitants s’est accru d’environ 5 %. C’est donc dire que les gens vivent moins nombreux dans un plus grand logement, alors que les petits appartements abordables s’évanouissent.

Au surplus, les maisons sont de plus en plus étalées. Entre 2006 et 2016, l’étalement urbain s’est accentué dans les régions de Québec (+19 %) et de Montréal (+11 %), tandis qu’il reculait à Toronto (–3 %). Une bonne nouvelle : les résidences québécoises consomment moins d’énergie, grâce à des gains de performance et… au réchauffement du climat. Notons aussi que le chauffage au mazout perd du terrain et que celui au gaz s’emballe.

Mode éphémère

Dans l’industrie du vêtement, le tournant du millénaire a représenté un point de bascule. Entre 1995 et 2005, le Canada a démantelé ses quotas d’importation de vêtements.

« Le gaspillage vestimentaire est devenu beaucoup plus flagrant au début des années 2000. Et avant qu’on se rende compte de cette hémorragie-là, plusieurs années se sont écoulées », raconte Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique à l’organisme Concertation Montréal, spécialisée dans la mode et le textile.

En 25 ans, deux tendances diamétralement opposées ont émergé : la fast fashion et le seconde main. Dans les deux coins du ring, les téléphones intelligents jouent un rôle. Facebook et Kijiji facilitent la publication de petites annonces. Toutefois, les vendeurs de vêtements neufs utilisent aussi le commerce en ligne pour aguicher les acheteurs — et ce, avec des prix imbattables. « Maintenant, tout le monde a un centre commercial au bout des doigts… » fait remarquer Mme Viens.

Alors que le prix de l’ensemble des produits de consommation a grimpé de 60 % entre le tournant du siècle et aujourd’hui, celui des vêtements est resté stable : c’est donc dire que les vêtements coûtent de moins en moins cher, par rapport au reste de nos dépenses. Le Québécois moyen consomme 40 kilos de textile (incluant aussi les rideaux, les draps, etc.) par année.

En fait, le renouvellement des garde-robes s’est tellement accéléré en un quart de siècle que les friperies ne savent plus quoi faire des dons. Pour les adeptes du seconde main, les vêtements de qualité des années 1990 y deviennent de plus en plus rares. Tout s’effiloche. « On a perdu le réflexe de l’entretien, de la réparation », ajoute Mme Viens, 32 ans.

Photo: Valérian Mazataud Archives Le Devoir Le dépotoir de Lachenaie, à Terrebonne

Responsabilités inégales

Quand on évalue l’évolution du profil typique de consommation au Québec, il faut absolument garder en tête les immenses disparités dans la société, rappelle l’économiste François Delorme. En général, l’empreinte carbone d’une personne augmente beaucoup plus vite que son revenu, du fait des conséquences climatiques importantes des investissements des plus fortunés.

Or, dans le dernier quart de siècle — et particulièrement depuis la pandémie —, les plus riches sont ceux qui se sont le plus enrichis au Québec. « J’habite à Austin, près du lac Memphrémagog, et on voit le 1 % », dit le professeur associé à l’Université de Sherbrooke en évoquant les nombreux Ski-Doo et Porsche Cayenne qui circulent dans les environs.

À ce chapitre, une tendance ne laisse pas de doute : l’aviation. De 2008 à 2023, le total annuel de passagers ayant pris un avion au Québec est passé de 14 à 23 millions — une hausse vertigineuse de plus de 60 %.

Ce nombre comprend des voyageurs qui viennent de l’extérieur de la province, mais aussi les Québécois eux-mêmes. « Tant chez mes étudiants que chez les gens plus âgés, je ne vois aucune remise en question quant aux voyages en avion », se désole M. Delorme. Une place sur un long vol aller-retour représente en moyenne 1,9 tonne de CO2.

Manger mieux ?

Et l’alimentation ? Portés par des motivations éthiques ou environnementales, les végétariens sont de plus en plus nombreux. En outre, à l’échelle nationale, la consommation de viande se transforme. En 2000, un Canadien moyen mangeait environ autant de poulet, de bœuf et de porc. En 2021, il dévorait 34 kg de poulet, 24 kg de bœuf et 19 kg de porc.

Cette transformation — probablement motivée par le prix abordable du poulet — est salutaire pour le climat : la production d’un kilo de poulet émet dix fois moins de CO2 que celle d’un kilo de bœuf. Par effet collatéral, elle occasionne aussi une multiplication des animaux d’élevage, étant donné qu’une poule nourrit beaucoup moins de bouches qu’un bœuf…

Sur les tables, le lait cède peu à peu du terrain. En ce qui concerne les fruits, la banane règne au sommet du palmarès canadien, et elle ne cesse de gagner en popularité depuis l’an 2000. La consommation d’ananas est aussi en hausse. Quant aux pommes, aux melons et aux pêches — des fruits qu’on peut cultiver ici —, leurs ventes évoluent en dents de scie, sans tendance claire. Parmi les féculents, les pommes de terre en arrachent, et le riz montre ses crocs.

Tous connectés

En toile de fond de ces moult mutations, le téléphone intelligent. L’an dernier, 86 % des adultes québécois en possédaient un, par rapport à 58 % en 2016. (Et 0 % en 2000, bien évidemment.) Le taux de remplacement est élevé : plus du tiers des gens ont l’intention de s’en procurer un nouveau dans l’année à venir.

Depuis l’an 2000, les émissions de gaz à effet de serre par habitant (basées sur la production nationale) ont diminué d’environ 20 % au Canada. « Il faut aller plus vite, mais au moins, on va dans la bonne direction », pense Mme Houde, du Groupe consultatif sur la carboneutralité. Cela dit, les gains sont surtout le résultat de « grandes transformations industrielles » et moins celui de changements dans les habitudes de vie des citoyens, ajoute-t-elle.

À voir en vidéo