Une prof de l’INRS disqualifiée en raison de «liens» avec Adil Charkaoui, selon Québec

Le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a affirmé vendredi avoir bloqué la nomination de la professeure Denise Helly au conseil d’administration de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) en raison « des liens » qu’elle a eus avec l’imam Adil Charkaoui. Mme Déry a par le fait même confirmé avoir fait de l’« ingérence politique », a répliqué un syndicat de professeurs.
« La décision d’accepter ou non une candidature soumise pour siéger à un conseil d’administration d’un établissement demeure la prérogative de la ministre. Nous avions certaines réserves quant aux liens qu’a entretenus Mme Helly avec le prédicateur controversé Adil Charkaoui, nous avons donc demandé à l’établissement de nous soumettre une autre candidature », a écrit au Devoir l’attaché de presse de la ministre, Simon Savignac.
« Ça ne s’arrêtera pas là », a réagi la professeure titulaire dans un entretien téléphonique. Elle estime faire l’objet d’une campagne de « salissage ».
En 2015, Denise Helly a organisé un colloque international sur l’islamophobie à l’INRS avec trois collègues du milieu de l’enseignement supérieur. Adil Charkaoui y a participé à titre de représentant du Collectif québécois contre l’islamophobie (CQCI). M. Charkaoui avait auparavant été soupçonné de terrorisme par les autorités canadiennes ; il a été surveillé pendant neuf ans sans qu’aucune accusation ne soit déposée contre lui.
Toujours en 2015, Mme Helly a reçu de la part du CQCI un prix de reconnaissance pour ses « efforts dans la lutte contre l’islamophobie ». Les colauréats étaient l’ex-maire d’Huntingdon Stéphane Gendron et Salam al-Minyawi, président du Conseil musulman de Montréal. C’est cette reconnaissance qui dérange le plus le cabinet de Mme Déry, a expliqué son attaché de presse.
« Je n’ai pas fait une erreur »
« Je considère que je n’ai pas fait une erreur », a déclaré Mme Helly au sujet de cette récompense. « Je l’ai acceptée, et dans leur tête [au cabinet Déry], ça veut dire que je soutiens Charkaoui. En termes de liberté académique, si je refusais, ça voulait dire que je prenais position dans le dossier. » Or, « je ne suis pas un juriste, je ne suis pas la GRC », a-t-elle indiqué.
L’INRS a déclaré au Devoir que les explications de la ministre « ne changent pas la nature de la situation ».
« Le processus par lequel la professeure Denise Helly a été désignée par ses pairs lui confère les compétences et la légitimité nécessaires afin de pouvoir contribuer à la gouvernance de l’INRS », a ajouté l’établissement. L’INRS juge que les activités de recherche de Mme Helly sont « protégées par la liberté académique » et que le geste de Mme Déry contrevient à l’autonomie universitaire.
La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) voit dans la décision de Mme Déry une violation de la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire, adoptée par le gouvernement de François Legault en juin 2022. Cette loi « reconnaît l’autonomie des universités et garantit le droit des professeurs de participer aux activités universitaires “sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, telle la censure institutionnelle” », a rappelé le syndicat.
Parlant d’une « douche froide » sur le milieu universitaire, la FQPPU a dit s’inquiéter de voir que les relations avec le milieu, « pourtant cruciales au travail de l’anthropologue et relevant de la liberté académique », peuvent avoir « de graves conséquences sur la carrière d’un professeur ». Dans cette affaire, l’INRS a assuré avoir respecté « chacune des étapes du processus de nomination », notamment celle permettant à Mme Helly d’être choisie pour le poste au CA par ses pairs.
« Ça sent le swing »
Lui aussi récompensé par le collectif que représentait M. Charkaoui en 2015, Stéphane Gendron a dit s’inquiéter d’une situation où on rend une personne « coupable par association ».
« Peut-être que je viens de me barrer pour les 50 prochaines années ! » a lancé l’ex-politicien quand Le Devoir l’a contacté. « Je ne peux pas croire que le gouvernement ne la nommera pas parce qu’à un moment donné, en 2015, elle a reçu un prix. Le CQCI n’est pas un organisme terroriste, il n’est pas sur la liste du FBI, je ne comprends pas. On va traîner ça pour le reste de nos vies ? »
Stéphane Gendron, qui a lui-même mené une introspection sur ses prises de position passées, a plaidé pour le « maintien du dialogue », même avec des personnages qui « ne laissent pas indifférent » comme M. Charkaoui. « Une telle attitude du gouvernement Legault, ça sent le swing », a-t-il déploré.
Le blocage de la candidature de Mme Helly par Québec, sans justification publique jusqu’ici, avait déjà suscité l’indignation dans le milieu universitaire. Alexandre Cloutier, qui préside l’Université du Québec — un réseau dont l’INRS fait partie —, a exigé une rencontre avec l’équipe de Mme Déry à ce sujet. Vendredi, cette rencontre était toujours prévue à son agenda pour la fin du mois.
M. Cloutier a dit voir dans le geste de Québec une atteinte à l’autonomie des universités et, possiblement, à la liberté universitaire. Ces deux principes sont enchâssés dans la loi depuis juin 2022.