«Le Prince» du Théâtre du Futur: Machiavel sous une loupe intergalactique

Guillaume Tremblay et Olivier Morin se sont donc projetés non pas 500 ans en arrière, mais 500 ans dans l’avenir, créant de toutes pièces une saga à quatre mains.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Guillaume Tremblay et Olivier Morin se sont donc projetés non pas 500 ans en arrière, mais 500 ans dans l’avenir, créant de toutes pièces une saga à quatre mains.

Comment vulgariser de façon divertissante Le Prince, de Nicolas Machiavel, un traité sur le pouvoir du XVIe siècle considéré comme un texte fondateur de la science politique moderne ? En créant sur scène une épopée spatiale humoristique aux multiples rebondissements et à l’esthétique rétrofuturiste, bien sûr.

C’est du moins le chemin qu’a emprunté le duo d’auteurs et de comédiens Olivier Morin et Guillaume Tremblay, du Théâtre du Futur, reconnu pour ses créations « champ gauche ». L’équipe avait reçu du Théâtre du Double signe, à Sherbrooke, le mandat d’adapter ce classique en pièce de théâtre.

« Il n’y a pas d’histoire dans Le Prince. C’est une lettre que Machiavel a écrite au souverain Laurent II de Médicis, qui venait d’arriver au pouvoir dans une cité-État pendant la Renaissance italienne. Ce sont des conseils, des maximes, sur la façon de garder et d’augmenter son pouvoir, avec des exemples historiques », explique M. Morin, qui interprète le Prince.

Olivier Morin et Guillaume Tremblay se sont donc projetés non pas 500 ans en arrière, mais 500 ans dans l’avenir, créant de toutes pièces une saga à quatre mains. À cette époque, les grandes entreprises se sont élevées au rang d’État, avec leurs armées et leurs travailleurs-citoyens. Comme la planète Terre n’est plus habitable, ces entités commerciales se sont constituées en Globotrons, d’immenses vaisseaux spatiaux-usines.

L’aventure commence lorsque l’inexpérimenté et naïf Prince succède à son père à la tête du Globotron Midi-Six. Il est complètement pris au dépourvu lorsque la dirigeante du Globotron Dollarama, Nikole, personnifiée par Marie-Claude Guérin, envahit son royaume. Heureusement, ou malheureusement, un rusé conseiller du nom de Mike-Yavel (Guillaume Tremblay) propose de l’aider. La distribution est complétée par Stéphane Crête, qui joue le père du Prince, mort mais revenu à la vie en tant que bio-hologramme, et Ann-Catherine Choquette, une assistante plus astucieuse qu’elle n’en a l’air.

Rapport au pouvoir

Les nombreuses péripéties et revirements de situation que compte le récit sont inspirés par des cas d’espèce tirés du livre : une trahison par-ci, une exécution publique par-là, une élection arrangée d’un côté, de la propagande de l’autre. Les techniques de contrôle et de domination décrites par Machiavel sont universelles et tout à fait d’actualité, estiment les auteurs.

« Il y a deux façons de voir Le Prince. C’est soit un traité à l’usage des dirigeants pour savoir comment mettre la main sur le pouvoir et le garder, soit un ouvrage à l’usage du bon peuple pour leur dire : “Regardez comment on vous manipule”. C’est un peu plus dans ce sens-là qu’on le présente, comme un petit guide d’autodéfense intellectuel », affirme M. Morin, se référant à la politologue Isabelle Lacroix, qui les a aiguillés.

« Aujourd’hui, on est dans une crise du pouvoir, avec la montée des autocrates et des extrêmes. C’est un super bon moment pour parler de ce que sont la démocratie, le totalitarisme, le colonialisme, le privilège du droit de vote, les écrans de fumée, les tactiques pour faire plaisir au peuple », poursuit le metteur en scène.

La pièce explore par l’absurde le rapport au pouvoir des cinq personnages, qui deviennent narrateurs à tour de rôle. « Ils sont tous potentiellement au pouvoir, souligne Guillaume Tremblay. Ayant des points de vue différents, ils deviennent tous un peu ce Prince qui se fait conseiller. »

Il n’y a pas une idéologie qui en prend pour son rhume plus qu’une autre. « Être dans le futur permet de prendre du recul et de parler de tous les leaders. Dans l’histoire, il y a eu des dirigeants de droite et de gauche qui n’étaient pas top », souligne l’interprète de Mike.

Une grande salle de jeu

C’est la première fois que le Théâtre du Futur, qui a notamment à son actif Clotaire Rapaille l’opéra rock, La colère des doux et La vague parfaite, joue dans une aussi grande salle, soit le théâtre Denise-Pelletier.

« C’est formidable d’être en collaboration avec le théâtre Denise-Pelletier et Double signe, parce qu’on n’a jamais eu un si gros plateau et d’aussi beaux moyens. Pour nous, c’est une célébration, un honneur », dit avec enthousiasme M. Morin.

Pour les décors et les costumes, ils disent s’être inspirés des codes grandioses des space operas à la Star Wars et Star Trek, mais surtout Flash Gordon, un dessin animé et un film de science-fiction de 1980. La musique de drame intergalactique est l’œuvre de Navet Confit, le troisième cofondateur de la compagnie de théâtre.

L’équipe garde en tête qu’un public adolescent assistera aux représentations, en accord avec la mission du théâtre Denise-Pelletier. « Mais au Théâtre du Futur, on a un public qui nous suit et qu’on ne veut pas trahir », indique l’interprète du Prince. Leur dernière création s’adresse donc « à tous les taquins, ceux qui ont envie de rigoler ».

L’humour est un bon véhicule pour faire réfléchir, estime le duo. « Le rire, ça ouvre les cœurs. Quand les gens rigolent, ils sont disponibles, ils sont en adhésion. Ça fait baisser leur garde, et on peut aller les chatouiller à de nouveaux endroits », estime M. Morin.

« Ça travaille l’inconscient collectif », renchérit M. Tremblay.

Jusqu’à la toute fin, la pièce servira par la bande des énigmes et des questions de nature politique aux spectateurs. Jusqu’où seraient-ils prêts à aller pour leurs idéaux ? Le mensonge et la force sont-ils parfois nécessaires ? La fin justifie-t-elle vraiment les moyens ?

Le Prince

Texte d’Olivier Morin et de Guillaume Tremblay. Du 28 janvier au 22 février au théâtre Denise-Pelletier et du 8 au 25 octobre au théâtre du Double signe.

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