Pourquoi le plan de Donald Trump pour Gaza est une très mauvaise idée

De Pékin à Paris en passant par Moscou, Riyad ou Le Caire, la proposition de Donald Trump d’une prise de contrôle américaine de Gaza et d’un déplacement des 2,2 millions de personnes qui y vivent a provoqué un véritable tollé à l’échelle de la planète.
De son côté, le gouvernement américain a tenté de tempérer les propos du président des États-Unis, affirmant notamment que les États-Unis ne financeraient pas la reconstruction de Gaza et qu’ils n’enverraient pas de troupes sur le terrain.
Afin d’y voir plus clair face à cette nouvelle bombe diplomatique du pensionnaire de la Maison-Blanche et de décrypter le fondement même de cette proposition, Le Devoir s’est entretenu avec deux experts en relations internationales.
En quoi la sortie de Trump sur Gaza pose-t-elle un problème légalement ?
« C’est une grenade politique et juridique lancée sur le Moyen-Orient », résume Michael Lynk, professeur de droit à l’Université de Western Ontario et ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens. Il s’agit selon lui d’une réflexion improvisée, inspirée par l’extrême droite israélienne. Elle serait toutefois politiquement et juridiquement impossible à réaliser.
« Le nettoyage ethnique des 2,2 millions de Palestiniens de Gaza, en droit international, on appelle ça un déplacement forcé. Il s’agit d’une violation grave des conventions de Genève de 1949, qui régissent les lois de la guerre et de l’occupation. Les États-Unis et Israël sont tous deux signataires de la Convention de Genève », explique le professeur.
De plus, ce déplacement forcé constituerait un crime contre l’humanité, en vertu du Statut de Rome de 1998, qui a donné naissance à la Cour pénale internationale. Et le statut de Rome s’applique aux territoires palestiniens occupés, à Jérusalem-Est, à la Cisjordanie et à Gaza, prévient M. Lynk. Les dirigeants américain et israélien pourraient ainsi être pénalement responsables d’avoir procédé à des déplacements forcés, même si ni Israël ni les États-Unis ne sont signataires du Statut de Rome.
« Il s’agit d’une violation de la diplomatie internationale et ce sera une position impossible à tenir politiquement, compte tenu de l’opposition des Palestiniens et de l’opposition de tous les pays arabes et musulmans de la région. »
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Donald Trump a-t-il réellement un plan pour le Proche-Orient ?
Pour Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, il faut commencer par se rappeler que l’on vit dans « un monde alternatif » depuis le 20 janvier et le retour au pouvoir de Donald Trump.
« On est dans la totale irrationalité de la prise de décision. Ce n’est pas possible après 20 jours d’avoir un plan pour le Proche-Orient », affirme le spécialiste de la politique américaine.
Ce dernier juge crédible que le président américain imagine construire des Trump Towers dans les trois villes de Gaza, et que la ville de Gaza soit renommée Trump City. « Il veut une nouvelle Doha au bord de la Méditerranée », résume-t-il.
Selon M. David, cette façon de faire de la politique, c’est ce qu’il convient désormais d’appeler « l’approche immobilière » des relations internationales.
« Dans l’univers de Donald Trump, qui est assez limité, sa compréhension du monde passe par son expérience immobilière. Donc, quand il y a des occasions de construire, de faire de l’argent ou de faire parler de lui, il fonce ! C’est un pharaon de l’immobilier », avance le professeur de science politique. Que ce soit pour Gaza, le Groenland, le Canada ou le Panama, selon lui, tout serait vu par M. Trump à travers le prisme de l’immobilier.
Son cabinet était-il au courant d’une telle sortie ?
« Dans un processus de décision rationnelle, une telle annonce aurait été soupesée et débattue au plus haut niveau avant d’arriver dans le Bureau ovale. Le fait que ce soit annoncé comme ça, par M. Trump, me laisse croire que ça n’a jamais été discuté auparavant », avance Charles-Philippe David.
Pour le professeur, c’est bien le signe que Donald Trump se comporte comme un dirigeant autoritaire, qui se moque de la bureaucratie et qui refuse de s’entourer de gens compétents.
« On sort du cadre normal de la prise de décision. C’est irrationnel. Ça sort simplement de la tête du président des États-Unis, élu par la moitié des Américains, c’est tout. Ce n’est pas le système que je connais et sur lequel j’écris depuis 40 ans », explique-t-il, un peu désabusé.
Trump a-t-il fait un cadeau à Benjamin Nétanyahou ?
Selon M. David, Benjamin Nétanyahou est très satisfait de tous les bons signaux que lui ont envoyés M. Trump et son nouvel ambassadeur à Jérusalem, Mike Huckabee.
« N’oublions pas qu’il a reçu hier un programme d’aide militaire absolument considérable pour pouvoir maintenir la sécurité en Cisjordanie. Si vous êtes Benjamin Nétanyahou, vous vous dites : “Je n’aurais jamais imaginé obtenir ni même demander une telle chose à Joe Biden.” Là, ça lui est servi sur un plateau d’argent sans même peut-être qu’il l’ait prévu », souligne Charles-Philippe David, qui rappelle aussi la proximité, presque idéologique, qui existe entre les membres les plus extrémistes du cabinet Nétanyahou et les chrétiens évangéliques qui appuient Donald Trump.
Quel pourrait être le sort des réfugiés palestiniens ?
Si l’on veut déplacer les Palestiniens pendant que Gaza est nettoyée de ses débris, débarrassée des 30 000 munitions non explosées, puis reconstruite, il n’y a pas d’endroit plus approprié qu’Israël, croit Michael Lynk, qui affirme que cette solution serait conforme au droit international.
« Les États-Unis et Israël devraient offrir aux Palestiniens le choix de s’installer en Israël, d’établir leur citoyenneté dans le pays dont ils ont été chassés il y a 75 ans, et de rester là de façon permanente ou, pour ceux qui veulent retourner à Gaza, de retourner à Gaza lorsque la ville sera reconstruite », explique l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens.
Le professeur réaffirme par ailleurs l’importance de maintenir à Gaza le personnel et les activités de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, notamment pour acheminer les 6700 camions d’aide humanitaire qui entrent chaque jour dans la bande de Gaza.